Enzo & Payson

On adore tous claquer la porte de notre casier et se donner l'impression le temps d'une seconde d'avoir un certain pouvoir. C'est une satisfaction humaine que de se sentir fort et supérieur à l'autre. En l’occurrence ici le casier. Après l'avoir donc claqué avec intensité et de s'être satisfaite de cette autorité, Payson quitta enfin les couloirs encombrés de la MVU pour sortir au grand air. Quel bien fou de se sentir à l'air libre. Son chocolat toujours dans la main droite, son livre de cours dans la main gauche, on aurait effectivement pu la confondre avec une première année cherchant un coin tranquille pour finir sa dissertation sur les conventions du travail à rendre deux mois plus tard. Mais..non. Elle avança dans l'allée, aujourd'hui la cour était bondée. Beau temps rime souvent avec étudiants dehors. Elle trouva au fond une petite table de libre et s'y dirigea avec enthousiasme. Il lui manquait à peine quelques mètres à parcourir qu'un garçon apparemment inconscient lui coupa l'herbe sous le pied et vint s'installer paisiblement. Payson s'arrêta net. « Et merde! » Elle songea à trouver un autre endroit, mais après tout, elle avait vu la table avant lui, elle irait exiger de la lui laisser. C'est d'un pas assuré qu'elle vint se poster devant le jeune homme apparemment impressionné par la gravité du visage de celle-ci. Le visage blafard recouvert cependant de zones relativement éparses de rougeur, des lunettes faisant ressortir des yeux d'une rondeur extrême et d'un bleu perçant, il avait tout d'un cliché de publicité d'adolescent mal dans sa peau. Elle eut presque pitié de lui et tenta d'adoucir son expression. « En fait, j'avais vu la table avant et je m'y rendais quand tu t'y ai mis. Étant donné que tu n'as pas l'air de bosser et que j'ai une dissertation sur les conventions du travail à rendre dans deux jours, tu pourrais peut être aller t'installer..dans l'herbe, vois-tu ? Et puis il fait tellement beau aujourd'hui. » Elle lui fit un de ses sourires, ceux qui paraissent des plus sincères mais qui cherchent en fait à cacher l’intérêt. Il sembla se laisser vaguement emporter par le décolleté puis se secoua et fixa Payson tout en prenant un air hautain. « Techniquement, je suis arrivé le premier donc..non. Et puis t'es loin d'être en droit, Payson! Mais tu sais, l'herbe c'est aussi bien, et puis, il fait tellement beau regarde. » Il regarda autour de lui en faisant mine de contempler un paysage magnifique et fit retomber son regard sur elle comme pour lui dire de dégager le plancher. Quelle saleté! Elle prit un air menaçant et enfonça son regard dans le sien. « Tu m'étonne que tu n'ai jamais eu de copines si ta galanterie est égale à l'harmonie de ton visage. » Elle ne lui laissa pas le temps de répondre, elle détestait ne pas voir le dernier mot. Elle se tourna et partit, l’Ego terriblement vexé et priant pour que personne ne l'ai vu se faire remballer par un première année. Soudain, elle s'arrêta, croyant avoir reconnu le président des KBO. Elle eut un temps de réaction, puis décida finalement de revenir sur ses pas. Lorsqu'elle s'approcha, elle ne pu s'empêcher de sourire en voyant son ombre recouvrir la table. Plongé dans ses papiers il ne prit pas la peine de lever les yeux et n'eut même pas la curiosité de savoir qui se pointait devant lui. Toujours la même insolence naturelle. En fait, elle se doutait bien qu'il savait que c'était elle. « Enzo Reed plongé dans de la paperasse. Pourquoi ça m'étonne ? »

Le pouvoir est quelque chose qui s'atteint par diverses manières, mais le premier caractéristique reste l'intelligence. Et évidemment, cela se travaille. Chez Enzo c'était plutôt inée, il avait eu la chance de naître avec un QI supérieur à la moyenne ce qui lui permettait sans être trop scolaire de briller dans ses études passées. Depuis son arrivée à la MVU, il avait radicalement changé de comportement de ce côté là. S'il voulait être un bon président, il se devait d'avoir les notes qui vont avec. Les trois autres, Jules, Bethany et Elliott avaient beau être d'insupportables personnes, étaient dans la crème de la crème des élèves Enzo se devait de faire tout aussi bien, voire mieux. Pour la première fois de sa vie il avait donc le nez fourré dans les bouquins presque aussi souvent que sur le corps nu et transpirant d'une femme. Ce qu'il y avait de drôle dans cette situation, c'était qu'on pouvait croire en le regardant de loin et sans le connaître, qu'Enzo était ordinaire, et était même sage, docile et appliqué. Il n'était évidemment rien de tout cela, mais pour en revenir au schmilblik, un cerveau ça se muscle autant que des biceps. Il aurait bien aimé l'enseigner à Gabriel, mais pour ce pauvre frère, c'était malheureusement trop tard. Plongé dans une lecture étudiée et poussé d'un texte de Nietzsche, l'italien ne faisait attention à rien d'autre. Il sentait le soleil chaud sur son coup laissé nu puisqu'il portait un T-shirt avec peu de tissus. La cour extérieure se faisait un endroit agréable pour travailler dans ces conditions, et les tables mises à leur disposition bien que rustres, permettaient un minimum de confort. Plongé dans l'étude des rêves, une voix féminine aussi désagréable que suave se fit entendre. Enzo n'eut pas besoin de lever les yeux vers la source d'ombre pour reconnaître Payson Green, une ex parmi tant d'autres. Ou un peu plus que ça. Sans quitter son ouvrage des yeux et en jouant avec son stylo comme un bébé joue avec un hochet le Kappa Beta Omega répondit : « Parce que tu ne sais pas ce que c'est. » Enzo n'en voulait pas à Payson d'avoir mis un terme à leur relation, il n'avait jamais été agréable voire même affectueux avec elle. Il lui en voulait plus d'avoir mis un terme à leurs ébats sexuels incroyables, et surtout d'avoir entamé de nouvelles démarches avec des garçons du campus pour retrouver ce type de relation. Inutile de dire que le jeune Reed n'allait pas les choses se dérouler ainsi sans broncher. « Je te préviens, si je lève les yeux, c'est pour admirer ton beau cul se dandiner de l'autre côté de la cour. » Sa gestuelle était la même, il n'avait pas levé les yeux et jouait toujours avec son stylo. Bien que son ton se voulait cassant, il avait tout de même placé un compliment à l'égard de la jeune femme. Ou plutôt ce qu'il pensait être un compliment. Il faut dire qu'il n'avait pas la même définition des mots que le commun des mortels.