Le week-end avait enfin sonné mais au vu de l'agitation au sein du pavillon des Sigma Tau Iota, on pouvait en douter. Les quelques frères qui avaient tenté la grasse matinée s'en était trouvés fort dépourvus quand la bourrasque fut venue. Et McPherson faisaient partie de ces malheureux. L'oreiller vissé sur la tête dans l'espoir de retrouver le sommeil, il avait bientôt du rendre les armes quand il avait compris que les allers-retours incessants dans les couloirs ainsi que les ricanements indiscrets ne cesseraient pas. Les jeunes filles ramenées la veille au soir ne semblaient pas préoccupés par le repos des autres. C'est donc d'une humeur exécrable que Clarence s'était levé et habillé avec l'irrépressible besoin de s'enfuir du pavillon au plus vite. Il ne supportait pas de devoir croiser dans les couloirs des shortys bien trop courts et des mines réjouies sans doute des exploits produits la nuit dernière. Depuis Ashleigh, il n'avait fréquenté aucune fille et qu'on se le dise, la réputation d'être le suspect numéro un n'apportait pas plus de convoitise qu'on aurait pu le croire. Lorsqu'il sortit de sa chambre, il dissimula sa tignasse bouclée dans un bonnet, cachant presque ses yeux, pour faire comprendre qu'il ne valait mieux pas le déranger. Un petit tour loin du campus ne serait pas du luxe quand on étouffait dans ce climat soupçonneux et pervers de curiosité.

Sortant les clefs de sa voiture de sa poche, il dut marcher quelques minutes avant d'arriver jusqu'à sa voiture. Clarence pensait enfin avoir échappé à la populasse lassante quand le spectacle qui s'offrit à ses yeux réveilla la pire envie de meurtre. Stoppant net, il en fit tomber ses clefs. Sa voiture noire à l'origine avait quelque peu subi un ravalement de façade. Plusieurs jets de peinture rouge avaient séché lamentablement sur la carrosserie et sur le pare-brise trônaient diverses insultes et accusations quant au meurtre de son ex petite-amie. Sans même chercher une seule seconde les présumés coupables autour de lui, Clay ramassa ses clefs, furieux. Il se dirigea à grandes enjambées vers une demeure quelques pavillons plus loin où la façade indiquait les trois lettres ΚΒΩ. S'arrêtant devant, il accosta l'un des frères de la confrérie rivale, l'empoignant par le bras : « Excuse-moi c'est laquelle la bagnole de ton président ? » L'interlocuteur visiblement stupide désigna une superbe voiture rutilante garée juste devant le pavillon avant de partir sans s'inquiéter de Clay. Aveuglé par la colère, ce dernier ne demanda pas son reste et se saisit d'une pierre qui s'était décrochée de la façade peu représentative du luxe des Kappa. Il recula de quelques pas et d'un geste précis mais rageur, il la jeta sur le pare-brise de la voiture de Reed qui éclata en mille morceaux, déclenchant alors l'alarme. Tous les regards se dirigèrent vers Clay mais peu osèrent s'interposer compte tenu de l'affront qui était fait à leur président tant respecté. Ne voyant personne débouler, il cria alors dans le vide : « Alors Reed, après avoir payé tes moutons pour saccager les affaires des autres, tu les paies aussi pour défendre tes fesses ? » Il se moquait de savoir si l'initiative venait ou pas de Reed, c'était le prétexte parfait pour aller enfin lui dire sa façon de penser.

Être président d'une confrérie impliquait des responsabilités importantes, dont on ne se doute absolument pas lorsque l'on rêve de le devenir. Enzo prenait ses responsabilités avec enthousiasme néanmoins. Il aimait tellement le Greek System et sa confrérie, que tout ce qui y touchait le satisfaisait. Une des contraintes était le lever, il fallait s'arranger pour être toujours debout avant les autres, de manière à pouvoir répondre à leurs diverses attentes, mais aussi pour préparer les tâches des bizuts pour la journée. Cette activité là était beaucoup moins contraignante pour Enzo. L'italien s'était donc isolé dans son bureau, la fenêtre ouverte, une cigarette au bec. Il réfléchissait aux tâches les plus ingrates et les plus courageuses à faire accomplir à ses jeunes Kappa Beta Omega. Ce moment solennel et jouissif fut perturbé par des cris. Des cris qui suivirent un bruit sourd d'éclat de verre. Enzo ne se leva pas tout de suite, il jeta d'abord un regard au ciel se demandant pourquoi il avait de pareils idiots dans ses troupes. Il pensa machinalement à Gabriel qui avait du encore faire preuve de maladresse. Mais la voix de Clarence se fit entendre et les propos furent pour le moins surprenant. Enzo se leva de sa chaise et jeta un coup d'oeil à sa fenêtre. C'était bel et bien ce cher Clarence McPhearson, ex petit ami d'Ashleigh, et quelqu'un de bien dans le fond. Quelqu'un de bien qui ne pouvait logiquement pas voir Reed en peinture. Il fallait dire que le jeune président en profitait pour narguer son camarade. Il ne s'éternisa d'ailleurs pas à la fenêtre, préférant faire face à son interlocuteur. Un Kappa Beta Omega avait beaucoup de défaut, mais la lâcheté ne faisait pas parti de cette liste. Une fois sorti de son pavillon, et se tenant debout face à un Clarence excédé, Reed posa son regard sur sa voiture. Ce n'était pas un drame, il se débrouillerait avec ses connaissances. Un pare brise ce n'est pas grand chose. Enzo fit signe à ses frères de ne pas s'attrouper comme des idiots autour de lui, et de retourner à leurs occupation. Il s'approcha ensuite de Clarence. « Clarence. Qu'est ce que je suis supposé avoir fait cette fois ? » Il accompagna sa phrase d'un petit sourire malin. Il n'avait rien à se reprocher, mais si le Sigma Tau Iota cherchait la guerre, il ne la trouverait pas. « Si te battre avec moi était dans tes projets aujourd'hui, ce n'est ni le jour, ni le lieu. » Enzo devait en effet montrer un visage irréprochable devant ses frères, il ne pouvait pas se laisser marcher sur les pieds, mais il ne devait pas non plus répondre par la violence. Il s'approcha un peu plus de Clarence et prononça doucement et calmement. « Ecoute moi bien mon cher Clarence parce que je ne vais pas le répéter deux fois. Je n'en ai rien à foutre de toi. La seule chose qui nous lie n'est plus de ce monde. Non je ne prends pas de plaisir à t'humilier ou à t'attaquer, et crois moi que si je voulais te faire une crasse, ce n'est pas ta voiture que j'abimerai mais ta petite gueule de fils à papa. » Il avait froncé les sourcils au fur et à mesure de son discours. Il ne se voulait pas méchant, juste franc une bonne fois pour toute.

Aussi rapidement que les quelques membres de la confrérie des Kappa s'étaient approchés du trouble-fête, leur président descendit de son refuge perché plusieurs étages plus haut. Clarence ne doutait pas qu'il s'était attribué la meilleure chambre et la meilleure vue sur tout le campus. Ca arrangeait ses affaires : il ne pourrait pas l'éviter. A vrai dire, il espérait même que Reed fasse preuve d'honnêteté, il en allait du respect que ses frères lui portaient. Lorsque ce dernier l'interrogea sur le sujet de sa visite, quelques ricanements s'élevèrent derrière Clarence. Il tourna la tête et jeta un regard torve à tous ces abrutis. De toute évidence, certains d'entre eux étaient déjà au courant de l'incident. Peut-être même y avaient-ils participé, il n'en serait pas surpris. Sans daigner regarder Reed, il lui répondit, distraitement. « Je crois que plusieurs de tes accolytes... » Il appuya ce dernier mot sur un ton méprisant. « ...semblent au courant. On m'a laissé un cadeau au réveil ce matin, ta voiture s'en souviendra tout autant que la mienne. » Excédé, Clay reporta enfin son attention sur Enzo. Il n'avait même pas envie de parler, ni de s'expliquer. Lui d'ordinaire si placide perdait patience pour l'une des premières fois de sa vie. Non seulement les autorités étaient constamment sur son dos, à l'accuser de tous les torts, mais voilà que les Kappa s'y mettaient. Il ne supportait plus l'effervescence autour de l'affaire d'Ashleigh et malheureusement, cette dernière moquerie était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase.

Serrant ses poings tremblant pour ne pas céder à l'irrépressible envie de se défouler – et de faire comprendre tout le respect qu'il portait à Enzo par la même occasion, Clay ne pouvait se retenir de rire jaune à ses paroles calmes et sereines. Pour une fois, c'était lui qui ne supportait pas la tranquillité de son interlocuteur. Glissant une main nerveuse dans ses cheveux, il ricana. « Même dans un univers parallèle, sa présence ne suffirait pas à nous lier, Reed, il est clair que toi et moi nous n'avons rien à voir. » S'approchant d'Enzo, il pointa un doigt sur son torse, réprimant tant bien que mal de lui foutre une droite publique. « Si ton hypocrisie est telle, sache alors que tes petits chiens renifleurs, eux, trouvent drôle d'humilier à tort. A croire que toute la confrérie est infectée par la vermine. » Clay continuait de réduire la distance avec l'homme qu'il détestait tant. Il cherchait clairement l'affrontement bien que cela ne lui ressemblait en aucun point. Mais ça, personne ici n'était en mesure de le dire, les deux confréries maîtresses étant devenues quelque peu rivales au fil du temps dans la course du prestige. A cet instant précis, il mourait d'envie de lui hurler dessus, il se moquait d'être ridicule. La pression était trop intense et malheureusement la soupape allait sauter ici maintenant devant les curieux, tant pis pour le self-control. « As-tu eu seulement le cran de venir l'abimer ? Je suis là maintenant. »

Le discours et l'attitude de Clarence n'avait pas vraiment de sens. Il devait s'être mal réveillé et souhaitant chercher des noises à quelqu'un, et évidemment dans ces cas là il se dirigeait vers le pauvre Enzo. Il fallait dire que l'italien le méritait plus ou moins. Il n'avait jamais apprécié le Sigma Tau Iota, il l'avait souvent cherché, souvent emmerdé, il lui avait fait des crasses oui. Mais ce matin, la voiture saccagée n'était pas une de ses oeuvres. Au vue de la situation présente, il le regrettait presque. Clarence se rapprochait un peu plus encore du président, et n'avait pas semblé écouter les premières répliques d'Enzo qui avaient pourtant pour but de lui faire comprendre qu'il n'y était pour rien et qu'il fallait partir. Après un long soupire Enzo répondit en levant les yeux au ciel : « Une porsh abimée vaut mieux que pas de porsh du tout. C'est ce que mes gars ont du penser, si c'est bien eux. » Il faisait ici référence à l'argent considérable que possédait Clarence. En apparence Enzo n'en avait rien à faire de la bêtise commise par ses frères, mais une fois qu'il se retrouverait seul avec eux, il démasquerai le coupable et lui remonterai très clairement les bretelles. En attendant il allait encaisser pour eux, en bon président. Il déblatéra ensuite sur leur différence, et le fait qu'ils ne se ressemblaient en aucun point. Enzo n'aimait pas parler d'Ashleigh mais il aborda pourtant le sujet sensible. « Elle a du penser la même chose quand elle m'a avoué que je lui manquais, et que tu ne faisais pas le poids. » Enzo qui était calme et indifférent venait lui aussi de monter un ton dans la colère, et souhaitait maintenant faire mal à son adversaire. Il avait les bonnes armes pour ceci, et cela commençait par des paroles comme celles ci. Clarence enchaina ensuite par des provocations très tentantes, mais Reed ne serait pas si bête, il ne donnerait pas le premier coup. Il savait les conséquences qui pourraient ensuite tomber. Il s'approcha cependant un peu plus et chuchota à l'oreille de son camarade. « Tu es encore moins malin que je ne l'imaginais Clarence. Venir me chercher, ici, chez moi... Très honnêtement tu me fais pitié, je ne t 'accorderai pas le plaisir de ne serait-ce que t'effleurer. » Il regarda ensuite son ennemi de haut en bas et afficha un sourire en coin. Il ne voulait pas se battre, mais s'il le fallait il répondrait présent, comme toujours. Mais hors de question de faire appel à ses frères. Il le ferait dans les règles de l'art.

Le comportement de Clarence était irréelle. Lui qui se croyait supérieur à toutes ces querelles de mâles qui se sentent obligés de se taper dessus pour mieux se faire comprendre était en train de provoquer publiquement la colère d'un étudiant qui ne le supportait pas non plus. Il cherchait clairement les ennuis et si personne autour de lui ne bougeait d'un pouce, pas sûr qu'on ne se rue pas sur lui sitôt qu'il oserait lever la main sur leur président adoré. Il ne faisait pas le poids face à Enzo, physiquement parlant car il s'était toujours cru au-dessus de la suffisance de son ennemi. Il se pensait si intelligent, si mature, pourquoi diable se jetait-il dans la gueule du lion, attendant pour la correction qu'il méritait ? Reed le railla sur la nouvelle façade de sa voiture. « Tache de leur en offrir une à chacun pour qu'ils puissent se défouler dessus. Elles ne dureront pas bien longtemps mais après tout chez les Kappa on change de voiture comme de copine. » Bien sûr qu'ils en étaient les responsables. Qui ici serait assez stupide pour risquer de provoquer Clarence qui était capable de tout, verbalement, sitôt qu'on s'attaquait à lui à la moindre broutille. Il n'y avait que les Kappa pour voir dans le meurtre d'une étudiante l'occasion d'en profiter pour régler les différends plus personnels. Et apparemment il n'était pas le seul. Sans que Clay ne puisse s'y préparer, le Kappa aborda le sujet Ashleigh en profitant pour lâcher une bombe phénoménale. Déglutissant avec peine, il serra les dents jetant un regard noir à Enzo. Que la vérité était douloureuse. Il s'était toujours refusé à penser qu'il détestait Reed pour cette raison mais à l'évidence, sa feu petite amie y était pour pas mal de choses. « Certainement que je ne faisais pas le poids. Elle se sentait mieux avec un copain qui lui était inférieur, elle était toujours si valorisée à tes côtés. Elle n'a pas supporté de perdre le projecteur qui la faisait voir et apprécier de tout le monde. » Dès qu'il s'agissait d'elle et ce depuis qu'elle était morte, Clay perdait ses moyens. Son visage demeurait impassible mais sa tête elle se perdait dans tant de douleur.

Puis Reed s'approcha de son oreille pour lui répéter ce qu'il savait déjà. Bien sûr qu'il était stupide à venir le titiller là sur son propre terrain tout en sachant qu'il ne perdrait jamais. Il était chez lui, il s'y sentait fort, entouré de ses admirateurs bêtes comme leurs pieds. Mais avait-il clamé commettre ici un geste longuement étudié ? Pour une fois, Clay avait agi impulsivement et maintenant qu'il était là, il ne comptait pas s'éclipser comme si de rien n'était, s'effacer devant l'évidente supériorité du président des Kappa. Tous les deux savaient que le premier auteur d'un coup ne serait pas Enzo. Et à dire vrai, Clarence voulait enfin revendiquer tout le dégoût qu'il lui portait. « Pour une fois je t'accorde une faveur. Je serai l’instigateur, tu me régleras mon compte. » A peine eut-il terminé ces paroles qu'il lui colla une droite bien placée qui cogna directement sa pommette dans un bruit sourd. La douleur qui irradia son poing lui arracha une grimace de souffrance. Autour de lui, quelques étudiants s'étaient avancés pour intervenir au cas où Clarence déciderait de réitérer son geste mais d'autres les en empêchèrent visiblement avides de la réaction de leur président.