Jaden sortit comme une furie de son cours de philosophie comme si quelque chose venait de le piquer. En réalité il en avait assez d'être assis dans ce même amphithéâtre depuis des heures, et le manque de nicotine se faisait ressentir. Il n'avait qu'une seule envie c'était de sortir immédiatement dehors et de fumer jusqu'à ce que ses poumons lui disent d'arrêter. Il avait déjà tout préparé, une cigarette au coin de l'oreille comme on l'aurait fait pour un stylo et son briquet qu'il faisait tourner lentement dans sa main. Il marchait alors rapidement dans les couloirs, pressé de pouvoir retrouver l'air frais, sans jeter le moindre regard aux étudiants qu'il croisait. La plupart ne lui prêtait pas attention, et les autres lui lançaient souvent des regards méprisants sans trop savoir pourquoi il fallait autant le détester. Mais au fond il avait toujours été un grand solitaire cette soudaine haine ne lui faisait ni chaud ni froid, et il s'était finalement habitué à ce que personne ne veuille être vu en sa compagnie. Il ne voulait pas se prendre la tête pour des étudiants qui accordaient plus d'importance à des rumeurs qu'à la simple vérité. Et alors qu'il était en train de marcher sans réellement regarder où allait ses pieds, il rentra dans quelqu'un. Quelqu'un de plus petit que lui, une femme visiblement. Il baissa les yeux, un sourire étira alors ses lèvres quand il reconnut alors Bethany. Il était étonné qu'elle ne prenne pas encore ses jambes à son cou de peur qu'on le reconnaisse avec lui. Toutefois poliment il lui demanda « Rien de cassé ? » Il savait bien qu'elle ne souhaitait pas qu'on sache qu'ils étaient amis et qu'ils s'arrangeaient toujours pour se voir dans un lieu désert, mais cette fois-ci il comptait bien s'amuser un peu avec elle. Il prit alors son bras pour le tenir, toutefois ce n'était pas une pression forte et si elle le voulait elle pourrait facilement s'en détacher pour partir. Loin de lui l'idée de la blesser ou de la forcer à rester en sa compagnie. « Tu devrais faire attention, si quelqu'un nous voit ensemble, ça pourrait bien ruiner ta réputation ! », lui dis-je alors en riant. Je savais bien que sa réputation était quelque chose de très important pour elle, mais au fond de moi cela me faisait doucement rire. Doucement rire parce que je savais aussi que cela la pesait, mais elle ne voulait jamais m'écouter sur ce point là.

Bethany sortait tout juste de son cours d'Art de Dire, beaucoup moins sereine que lorsqu'elle avait pénétré dans cette salle exiguë, même si ses traits raffinés respiraient la plénitude. C'était sans nul doute la classe la plus barbante du semestre : celle où on leur apprenait à s'exprimer de façon convaincante, en public. Il fallait composer avec les silences, les intonations, le moindre mot utilisé. Tout pour faire de la promotion de véritables politiciens. Mais la brunette n'aspirait pas à ça. Ses études étaient un choix parental qui coulait de source. Son grand-père était un ancien Président et son père le gouverneur du Michigan. Il était normal que quelqu'un reprenne le flambeau et Bethany avait été toute désignée. Alors elle écoutait sagement, puisque suivre docilement un chemin tout tracé pour elle semblait être un domaine dans lequel elle excellait. Si elle s'était écoutée, elle aurait choisi la littérature. Ou l'art dramatique. Ou... enfin, rien d'aussi brut que les sciences politiques. C'est donc d'une humeur quelque peu morose qu'elle traversait le couloir de sa démarche élégante, bien déterminée à sortir de là au plus vite. Enfin, c'était sans compter les autres étudiants, prompts à attirer son attention. Fidèle à elle-même, Beth distribuait sourires doux et paroles policées tout en se frayant un chemin vers la sacro-sainte sortie. Du moins, c'était avant que sa course ne soit brutalement freinée par... Jaden. Tout en se massant son épaule endolorie, la jolie brune ne put s'empêcher de laisser ses prunelles noisettes balayer le couloir pour vérifier que son altercation avec le KBO n'était pas l'attraction du moment. Cette vérification était peut être stupide, mais lui était nécessaire : Beth tenait à son image immaculée et Jaden était le genre d'homme qui pouvait la ternir plus vite que son ombre, sans même le vouloir. Malheureusement, il était également le genre d'homme qu'elle appréciait. Trop, sans doute. Finalement, ses yeux chatoyants finirent par se poser sur la silhouette de Jaden, à qui elle adressa une légère esquisse complice. Qui disparut aussi rapidement qu'elle avait pris possession de ses lèvres. La remarque sur la réputation ne l'amusait pas vraiment. Bethany n'en parlait pas, et peu savaient les efforts constants que lui demandaient son image parfaite. Et combien c'était épuisant, à la longue. Jaden, si. Et le fait qu'il le tourne en dérision avait tendance à faire voir rouge à la brunette, à chaque fois. Même si c'était sûrement pour son bien. Tout en dégageant son bras de son étreinte d'une pichenette, elle rétorqua, sans le quitter des yeux. « Arrête, ce n'est vraiment pas drôle. » Malgré tout, Bethany n'avait aucune envie de le quitter. Pas si vite. Après tout, il l'avait presque renversée, elle pouvait tout à fait être en train de l'enguirlander, n'est-ce pas ? « Qu'est-ce que tu fuis comme ça ? » Sa voix caressante n'était quasiment qu'un murmure, pour qu'aucune oreille indiscrète ne puisse intercepter la conversation. Elle faisait bien évidemment référence au fait qu'il volait vers la sortie plus rapidement encore qu'aucun autre élève ici.

Jaden n'avait qu'une seule hâte c'était d'enfin pouvoir sortir afin d'allumer sa cigarette, même s'il savait que ce serait difficile avec sa main fracturée. Ses plans furent toutefois contrariés lorsqu'il rentra malencontreusement dans la jolie Bethany. Mais au fond est-ce que celui lui déplaisait vraiment ? Que préférait-il ? Passer du temps avec la jeune femme ou aller emplir ses poumons de goudron ? Les deux à la fois aurait-il probablement répondu. Parce que même si elle s'évertuait à ne pas vouloir être vu en public avec lui, Jaden ne pouvait s'empêcher de l'apprécier, peut être trop en vérité. Et même s'il en avait assez de toutes ses histoires de popularité, il n'arrivait pas à se détacher d'elle. Ce n'était pas faute de lui avoir dit que ses efforts ne servaient à rien, si elle ne pouvait pas réellement être qui elle souhaitait. Que tout le monde se moquerait de savoir si elle était populaire à l'université une fois qu'elle serait diplômée. Oui tout cela il lui avait dit. Il lui avait dit pour qu'elle comprenne enfin et qu'elle se décide à changer. Mais rien n'y faisait elle tenait beaucoup trop à ce que à quoi elle avait travaillé pendant tant d'années. Et quoi qu'il lui dise, rien n'y changerait. Après tout il était qui pour lui dire toutes ces choses ? Un thésard en philosophie qui était descendu en bas de l'échelle sociale. Il ne s'étonnait pas vraiment de voir qu'elle s'entêtait dans ses idéologies. Mais il pensait qu'au nom de leur amitié elle pourrait faire des efforts. Il fallait croire que le regard des autres avait fini par prendre trop d'importance dans sa vie. Cela n'était même plus une vie de vivre en fonction des autres, et il ne cessait de lui répéter qu'elle devait vivre pour elle. Et il voyait bien qu'à cet instant elle prenait garde à ce que personne ne remarque qu'ils étaient en train d'avoir une conversation. « Tu n'aurais pas à faire tout ça, si tu te souciais un peu plus de tes amis et un peu moins du regard des autres », avait-il alors ajouté dans un rire. Il savait bien que cela allait faire enrager la brunette et c'était précisément le but. Il adorait la taquiner, et elle lui donnait à chaque fois exactement ce qu'il voulait en s'énervant de cette façon. « Je fuis mon prof de philo pour me diriger tout droit vers mon cancer des poumons. » A elle de voir ce qu'elle voulait faire, elle pouvait le suivre ou s'en aller pour ne pas être vu en sa compagnie, ou alors elle pouvait très bien décidé de l'emmener quelque part où personne ne se trouvait. Ce dont il avait pris l'habitude à force, et la connaissant bien il ne doutait pas qu'elle opterait certainement pour la troisième solution.

Cette histoire de réputation et de relation secrète était leur sujet de discorde préféré. Il n'y avait pas une seule fois où le sujet n'arrivait pas sur le tapis. A chaque fois, Jaden lançait les hostilités d'un ton badin et Bethany s'emportait bien trop vite. Difficile à croire pour celle qui paraissait toujours douce, délicate et sereine. Et pourtant. Si la présidente faisait tout pour préserver son image, c'est parce qu'elle était à la fois sa plus grande force et sa principale faiblesse. Elle s'abreuvait du regard des autres et le cherchait en permanence parce qu'il comblait son insécurité et son manque d'assurance chronique. Personne ne s'en doutait à la vue de la force tranquille qui se dégageait d'elle ou de son aplomb légendaire, mais Beth n'avait aucune confiance en elle. C'était son image et sa réputation qui lui apportait la sérénité nécessaire. Voir dans le regard des autres de l'admiration lui offrait l'assurance qu'il lui manquait. Alors certes, peut être souffrait-elle de ne pas être entièrement elle-même et de se plier aux exigences des uns et des autres, mais les avantages octroyés étaient bien trop grands pour qu'elle s'en sépare. Malheureusement, Jaden n'avait pas toutes les cartes en main pour juger. Bethany ne livrait pas aussi facilement ses failles. « Si mon existence tournait uniquement autour du regard des autres, nous ne serions même pas amis. » lâcha la jolie brune dans un soupir, déjà lasse de ce perpétuel affrontement. Ce que montrait passablement bien son adorable moue contrariée. Le pire était qu'elle disait vrai. Si elle n'avait été qu'une machine infaillible, jamais elle ne se serait attardée plus que de raison sur Jaden. Avant qu'il ne soit un paria il était un KBO, et cela suffisait comme avertissement. Bethany se tenait éloignée de ces garçons désaxés, débauchés et souvent désoeuvrés, dont le corps contenait en moyenne plus d'alcool que de sang par litre. Mais Jaden était différent. Il n'avait rien à faire dans cette confrérie et tout chez lui, lui avait immédiatement rappelé une ancienne connaissance. Quelqu'un qu'elle avait aimé et perdu, en le sacrifiant sur l'autel de sa réussite sociale et scolaire. Il aurait été un frein à son admission à la MVU et bien que leur relation avait été secrète, la jeune lycéenne savait que le Bureau prenait un malin plaisir à fouiller jusque dans les entrailles de leur existence. Devenir une OP était tout ce que sa mère désirait pour elle et la décevoir ne lui avait pas effleuré l'esprit ne serait-ce qu'un instant. Bethany n'avait pas encore conscience que l'histoire pourrait bien se répéter, si elle continuait à accorder autant d'importance à l'image lisse et parfaite qu'elle diffusait. Reportant sa totale attention sur Jaden, la brunette lui offrit un délicat sourire mutin avant de se saisir prestement de la cigarette qui siégeait fièrement derrière son oreille. « Et bien... » commença-t-elle d'une voix exagérément suave. « La destruction de tes poumons attendra encore un peu. » Alors même qu'elle s'adressait à Jaden, son coude venait de rencontrer la poignée de la porte la plus proche du mur contre lequel ils étaient appuyés et il ne lui fallut qu'une poignée de secondes pour entraîner le garçon dans son sillage et refermer la porte derrière elle. Ce qui lui avait semblé être une classe n'était en réalité qu'un local technique exigu et sombre. Bon, ils avaient rarement fait pire comme lieu. Mais malgré ses critères pourtant élevées, Beth s'en fichait. La présence de Jaden lui suffisait amplement et il était bien l'un des rares à pouvoir se targuer d'un tel traitement de faveur. Même si il ne semblait pas en avoir conscience. Appuyée contre la porte pour plus de sécurité, sait-on jamais, Bethany releva des yeux presque espiègles - miracle - sur le KBO, fière de sa parade. Après avoir fermé la porte à clef, elle se rapprocha gracieusement de Jaden pour se saisir avec une extrême douceur de sa main en piteux état. Lentement, la brunette l'effleura de ses doigts, les laissant courir sur sa paume sans presque la toucher. Elle ne souhaitait pas le blesser. « Je peux savoir quel visage ou autre obstacle ta main a rencontré pour se retrouver dans cet état ? Tu sais, tu auras beau briser l'intégralité des os de chacun de tes frères, ça ne changera rien. » Elle ne l'écoutait pas sur sa réputation, il ne l'écoutait pas sur son côté... sanguin. Beth lâcha sa main pour croiser de nouveau son regard. « Tout sera plus simple quand tu auras le loisir de quitter enfin cette confrérie de détraqués. »

Jaden ne voulait pas contredire la jeune femme une nouvelle fois, parce qu'elle semblait déjà lasse de cette discussion. Discussion qu'ils avaient déjà eu des centaines de fois sans arriver à se mettre d'accord. Il aurait aimé répliquer que si le regard des autres n'était pas aussi important pour elle, ils pourraient être amis sans avoir à se cacher dans toutes sortes d'endroits pour que personne ne voit Bethany en compagnie de celui qui pouvait faire descendre votre popularité en flèche si vous étiez vu en sa compagnie. A savoir lui-même. Il aurait aimé le dire mais quelque part il en avait assez de cette éternelle discussion entre eux, il voulait pour une fois laisser sa répartie de côté pour pouvoir profiter du temps qu'il passait avec la brunette. Temps qui se faisait rare parce qu'elle avait toujours quelque chose à faire et parce qu'il était hors de question qu'ils se voient dans un lieu public. Mais pour une fois il préféra se taire, ce qui se faisait rare chez lui et éviter de lancer une nouvelle pique à l'encontre de son amie. Il ne voulait pas la mettre en colère pour quelque chose qui n'en valait pas la peine puisque jamais ils ne réussiraient à trouver un terrain d'entente. « Et tu comptes faire quoi avec ? », lui demanda-t-il dans un rire moqueur, alors qu'elle venait de se saisir de la cigarette qu'il avait auparavant glissée sur son oreille. Il n'eut pas le temps d'attendre une quelconque réponse de la part de Bethany qu'elle venait déjà d'ouvrir la porte la plus proche d'eux. Elle l'entraîna alors avec lui et une fois à l'intérieur ferma la porte à clé. S'ils étaient souvent habitués aux endroits déserts, celui là dépassait largement tous les autres. C'était un local technique exigu, où une troisième personne n'aurait pu rentrer où alors ils auraient vite fait par manquer d'oxygène. Cela ne dérangeait pas Jaden dont les critères n'étaient pas très élevés. En revanche il s'étonna de voir que Bethany n'insistait pas pour qu'ils trouvent une autre pièce. « C'est absolument charmant comme endroit, je me demande pourquoi nous n'y allons pas plus souvent. », lança-t-il sarcastiquement avant que Bethany ne s'empare de sa main fracturée pour constater l'ampleur des dégâts. Il était clair que sa main était en piteuse état, et s'il avait lui même déclaré qu'elle était fracturé, il n'en savait à vrai dire rien. Il savait qu'il devait avoir quelques os de brisés et qu'il ne pouvait pas la bouger sous peine de souffrir pendant des heures suivants. Mais il se refusait à aller voir le médecin, ou à prendre tout traitement, sans doute par fierté. Il savait également qu'il n'allait pas couper à une remarque de Bethany qui n'avait jamais cautionné son attitude. Tout comme il essayait de la convaincre de vivre sans vie comme elle l'entendait, elle essayait toujours de lui faire abandonner son comportement violent. Mais lorsqu'elle évoquait ce sujet Jaden faisait la sourde oreille. Il n'avait pas l'intention de changer, et il savait très bien qu'il en serait incapable. « Un abruti qui l'avait mérité, au moins il se souviendra de moi. », lui répondit-il en affichant un sourire satisfait. Il savait bien que ce sourire n'aurait pas dû apparaître sur son visage parce qu'elle allait encore le réprimander mais au souvenir de cette bagarre il ne pouvait s'empêcher d'avoir cette attitude tant il était satisfait de la tête qu'avait maintenant le frère qui avait subi sa colère. « Peut être que si je leur brise tous les os, ils finiront peut être par arrêter de me chercher. » Encore quelque chose que la jeune femme allait réprimer mais il ne pouvait pas s'empêcher de dire ce qui lui passait par la tête en ce moment. Tout le monde connaissait très bien le caractère de Jaden, et pourtant on continuait toujours à le provoquer. « Crois-moi, j'aimerais bien mais ce n'est pas aussi simple que ça. » S'il avait pu quitter la confrérie aussi facilement il l'aurait fait depuis longtemps, mais il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas pour des raisons qu'il préférait taire. Il aurait tellement aimé de ne plus avoir à supporter tous ces abrutis tous les jours, mais il ne le pouvait pas alors il se contentait de subir les foudres des autres chaque jour. Mais il le leur rendait bien il fallait le dire. « Et si je quittais cette confrérie ça changerait quoi ? Tu accepterais enfin de me parler en public ? », lança-t-il en riant, un sourire espiègle sur le visage.

Ce qu'elle comptait faire avec sa cigarette ? Bethany haussa ses épaules avec désinvolture, tout en glissant son bien dans son sac. Pas grand chose. Du moins, pas la fumer. La brunette respectait la moindre convenance sociale et la quasi-totalité des règles barbantes inventées par l'homme et pour lui. Or, mourir prématurément et ruiner intentionnellement sa santé ne l'intéressait pas. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Bethany n'était pas connue pour prendre des risques ou vivre dangereusement. Parfois, elle aimerait oser davantage et déverrouiller son côté audacieux et impulsif. Mais pour le moment, son cerveau avait toujours le dernier mot sur son coeur et ses envies. Il était plus raisonnable. Enfin, ceci ne concernait bien évidemment pas la cigarette : Bethany avait d'autres aspirations qu'être arrachée à la vie à cause de la nicotine. Elle se voyait mourir à cent dix ans, dans son sommeil. Ou alors d'une façon aussi spectaculaire que la vie qu'elle aimait à s'imaginer. Elle aurait un métier forcément passionnant, bien rémunéré et deviendrait un personnage prédominant de la vie publique américaine. Dans ce cas-là, elle acceptait d'être fauchée en pleine gloire. C'était la meilleure façon de laisser une trace posthume de notre passage sur terre et de marquer l'Histoire. Avec un peu de chance, elle laisserait même derrière elle des rues, des monuments et des musées à son nom. Oui, Bethany était terrifiée par l'avenir et tout ce qui était trop incertain et se bercer d'intuitions illusoires l'aider à gérer cette névrose. Un léger rire cristallin s'échappa d'entre ses lèvres à la remarque de Jaden, avant que son regard chatoyant évalue les murs autour d'eux. « Charmant, c'est le mot. Ambiance feutrée et intimiste à souhait, je crois que je n'aurais pas pu mieux faire. » Bethany adressa un sourire complice à Jaden, avant de s'éloigner de la porte et des trois autres murs, beaucoup trop proches. Après tout, ils n'étaient sûrement pas les seuls à avoir pénétré cette pièce et la brunette imaginait trop bien ce qui avait pu passer dans la tête des couples qui y avaient trouvé refuge. En écoutant la réponse de Jaden et surtout en captant son sourire satisfait, Bethany ne put que secouer lentement la tête tout en relâchant la main blessée du garçon. Elle ne comprenait pas comment il pouvait se complaire dans la violence. Dans la solitude, si. La jeune femme, toujours entourée où qu'elle aille, mourait parfois d'envie d'être vraiment seule. Surtout lorsqu'elle était en famille ou lors des soirées affreusement guindées dans lesquelles on la faisait parader comme un singe savant. Mais la violence, non, elle ne comprenait pas. Enfin, elle était persuadée que Jaden avait des circonstances atténuantes. Il ne s'était jamais ouvert à elle de ce côté là et Beth n'était pas du genre à forcer la main. Le seul homme auquel elle s'était vraiment attachée avec ce côté sombre, torturé et bagarreur qu'elle retrouvait en Jaden. Elle avait fini par apprendre quelques bribes de son passé et ne s'était plus permis de le sermonner. Juger était aisé lorsqu'on avait vécu dans une bulle dorée. Factice et qui pouvait faire office de prison, certes, mais qui n'en restait pas moins agréable. « Peut-être que si tu cessais de t'emporter aussi facilement, ils arrêteraient de te provoquer. » répliqua la brunette sur le même ton que Jaden, son port altier lui donnant un très léger air triomphant. Les KBO cherchaient à provoquer des réactions en Jaden et Beth était persuadée qu'il les frustrerait bien davantage en les ignorant. Ils n'étaient qu'une bande d'éternels ados immatures et se lasseraient bien vite du manque de réaction de leur 'traître' de 'frère'. Du moins, ça n'était que son avis. « Et en attendant, tu devrais consulter un médecin. » Ne put-elle s'empêcher d'ajouter d'un ton beaucoup plus protecteur et doux qu'elle ne l'avait voulu. Bien évidemment, elle savait que Jaden n'en ferait qu'à sa tête et n'irait pas. C'était peine perdue mais Bethany avait la fâcheuse tendance à croire en l'être humain, de temps à autres. Soudain intriguée par la réplique du garçon, Beth fronça un sourcil avant de plonger ses prunelles noisettes dans les siennes, beaucoup plus sombres. « Qu'est-ce que tu entends par là ?! Si tu veux vraiment quitter les KBO, rien ne t'en empêche. Ne me dis pas que Reed t'intimide, quand même. » La brunette lui adressa un léger sourire en coin. Aussi tordu et déviant que pouvait être Enzo, Bethany n'imaginait pas un seul instant qu'il puisse impressionner Jaden. Ou quiconque d'ailleurs. C'est pourquoi elle ne quittait pas le garçon des yeux, attendant un simulacre de réponse. Son sourire radieux s'élargit à sa dernière remarque. « Pourquoi, ça te plairait ? » commença-t-elle en se rapprochant de Jaden, minaudant quelque peu. « Il est vrai que je serai beaucoup plus audacieuse aux côtés d'un paria tout en bas de l'échelle sociale qu'un KBO... » ajouta la brunette de sa voix sucrée, un sourire mutin ornant ses lèvres rosées. Elle disait vrai. Ca n'était pas tant l'étiquette paria qui la dérangeait, plutôt celle de sa confrérie douteuse. Tout chez eux puait un remake de bas étage des liaisons dangereuses et Bethany avait toujours préféré les drames romantiques aux machinations sordides de ce roman épistolaire. Question de principes.

La réputation de Bethany et la violence de Jaden étaient deux sujets qu'ils abordaient souvent, et qui agaçait l'un et l'autre. Et pourtant ils ne pouvaient s'empêcher d'en parler, et de réprimander l'autre tout en sachant parfaitement que cela ne changerait jamais rien. Aux yeux de Jaden, Bethany ne serait jamais capable de tenir tête à ses parents et de se détacher du regard des autres. Et même si elle lui avait confié en avoir terriblement envie, pour lui c'était comme dire qu'il allait arrêter de fumer. Une utopie en somme. Et si elle se moquait éperdument des reproches que pouvaient lui adresser Jaden, disons que lui se contentait de l'écouter d'une seule oreille. Il avait souvent envie d'écouter son opinion, mais il n'en prenait jamais compte. Être violent et bagarreur était dans sa nature. Quand on est obligé de se battre contre son propre père, ça forge forcément le caractère et vous ne perdez pas souvent les habitudes que vous avez prises. Et c'était le cas de Jaden, qui s'étant battu beaucoup trop de fois avec celui qu'il était obligé d'appeler papa, ne pouvait oublier toute la peine qu'il avait eu durant son adolescence et n'arrivait pas à calmer son tempérament. « Peut être ... Mais tu sais très bien que je ne changerai pas » Ce qui était totalement vrai, il était incapable de faire le moindre changement sur son caractère et sur ses humeurs, ses émotions et ses pulsions prenant toujours le contrôle. De toute manière il n'était pas sûr d'avoir envie de changer, il se complaisait dans la violence parce que c'était un moyen d'évacuer tout ce qu'il pouvait ressentir, le seul moyen pour lui d'exprimer toute la rage et la colère qu'il avait en lui. Et sa main témoignait de tout cela, elle témoignant qu'il avait beaucoup trop de sentiments haineux pour pouvoir rester calme. « Tu veux dire un de ces charlatans qui te font payer cinquante dollars la consultation pour te dire ce que tu sais déjà ? », répondit-il alors sarcastiquement. Il était beaucoup trop fier pour aller voir un médecin, et de toute manière il n'avait pas d'argent à dépenser là dedans. Ni dans les radios qu'il allait falloir qu'il passe s'il se rendait chez le médecin. Non c'était beaucoup mieux ainsi, son argent était beaucoup mieux investi dans la nourriture et pas dans des frais médicaux exorbitants. Bethany plongea ensuite ses iris dans ceux de Jaden, qui à cet instant aurait été tenté de lui dire la vérité, mais il savait que c'était un tour de sa part, alors il ne cracherait en aucun cas le morceau. « S'il m'intimides ? T'es tombée sur la tête pour dire de telles choses ? Ce mec est minable, même son ombre se rit de lui. » Ça c'était pourtant la vérité, Jaden ne craignant en aucun cas le président de sa fraternité, qu'il haïssait au plus haut point. Non il y avait une autre raison pour laquelle il restait bien sagement dans sa confrérie sans pouvoir la quitter. Une raison que Jaden était trop fier pour admettre, et qu'il préférait garder pour lui. Et il se complaisait d'autant mieux dans son mensonge. Ou plutôt dans son omission, parce qu'il n'avait toujours pas répondu à la question de Bethany rebondissant tout de suite sur Reed pour éviter d'avoir à fournir des explications. « Oui assez, je dois dire que j'aimerais enfin arrêter de me cacher dans des endroits comme celui là. » Parce qu'à la longue cela finissait par lui peser de devoir toujours chercher un endroit pour pouvoir parler, parce que la jeune femme refusait tout contact avec lui en public. Il savait très bien qu'il aurait pu lui poser un ultimatum depuis longtemps, mais il fallait être réaliste elle n'aurait pas hésité une seule seconde entre sa réputation et son amitié avec Jaden. Son amitié secrète soi dit en passant. On a souvent vu des amours secrètes, mais sérieusement des amitiés secrètes ? De temps en temps il trouvait cela assez ridicule, et se demandait pourquoi il acceptait encore de marcher dans ce manège là, alors qu'il pourrait en sortir s'il le voulait. Mais curieusement il n'en avait pas envie. Surtout quand la brunette essayait ses charmes sur lui, comme à cet instant là essayant de lui soutirer la vérité, ou il ne savait trop pourquoi elle était en train de minauder en réalité. Il l'avait en tout cas remarqué, et cela lui arrache un sourire malicieux. « Ne me fais pas croire que même si je n'étais plus un KBO, tu accepterais que notre amitié soit rendue publique. Je serais toujours le mec que tout le monde déteste. » Il avait du mal à croire que seule sa fraternité était la cause de toutes ces cachotteries.

Bethany esquissa une moue renfrognée de façade lorsque Jaden lui asséna qu'il ne changerait pas. En réalité, elle n'avait aucune envie qu'il change. Si elle insistait si souvent pour qu'il travaille sur son comportement, c'est uniquement parce que celui-ci lui jouait des tours, à lui et à lui-seul. Mais elle appréciait ses défauts et ce sont les failles du garçon qui l'avaient attirée en premier lieu. Il était différent et sans nul doute beaucoup plus complexe et mature que la plupart des garçons du campus. Et Bethany n'avait nullement envie qu'il change qui il était. Simplement qu'il parvienne à se tempérer de temps à autres. Le côté bagarreur et sombre de Jaden - les points sur lesquels ils différaient - étaient exactement ce qui forgeait sa personnalité. Alors que l'importance excessive de son image - autre point de discorde - s'avérait être ce qui retenait sa personnalité. Autant dire que le débat n'était pas très égal. La jeune femme haussa donc simplement ses frêles épaules, désireuse de ne pas envenimer la situation quand elle savait parfaitement qu'elle était en tort. Elle changea néanmoins rapidement d'avis en entendant le KBO refuser de consulter. « Très bien, tu as gagné : je n'insisterai pas. Mais en échange, fais-moi le plaisir de passer à l'infirmerie. Au moins là-bas, on te donnera de quoi soulager la douleur. » Ses prunelles chatoyantes s'ancrèrent profondément dans celles de Jaden, essayant de lui faire promettre implicitement qu'il irait. Mentir en s'exprimant était bien plus facile que tromper l'autre en le regardant droit dans les yeux. Et en parlant de mensonge, le KBO semblait avoir quelque chose à cacher. En l'entendant déblatérer sur Reed sans répondre à sa question initiale, Bethany lui asséna un coup de coude bien mérité dans les côtes, sans se départir de son sourire lumineux. Face à lui, elle brisa la maigre distance qui les séparait encore pour pointer sans ménagement un index manucuré sur le torse bien fait du garçon : « Et si on oubliait ton très cher Président l'espace d'une minute ? » La brunette le fréquentait le moins possible et ne s'en portait que mieux. Enzo ne représentait à ses yeux rien de plus qu'un souvenir embarrassant qu'elle aurait aimé pouvoir effacer de sa mémoire. « Tu ne réponds pas à ma question. Qu'est-ce qui t'empêches de quitter la confrérie, Jaden ? » Sa voix était toujours aussi douce et mélodieuse, mais son ton beaucoup plus franc et sans appel. Son regard noisette ne cillait pas et restait rivé sur le visage charmant du garçon, guettant la moindre de ses réactions. Ce qui n'était pas aisé vu la quasi-pénombre dans laquelle ils étaient plongé. Bethany estimait être une personne de confiance et la réserve de Jaden à son égard la blessait. Elle avait eu l'impression qu'ils étaient au-dessus de ça. La jolie brune lui avait fait assez confiance pour lui confier certains ressentis dont même ses plus proches amis n'avaient pas idée - à l'exception d'Elliott. Et naïvement, elle pensait avoir le droit au même traitement. Néanmoins, son visage aux traits raffinés n'exprimait rien de son trouble, respirant la sérénité qui lui collait à la peau en permanence. « Tu sais quoi ? » lança Bethany d'un ton beaucoup plus désinvolte, tandis qu'elle se détachait quelque peu de Jaden. « La prochaine fois, on se retrouvera dans un lieu fréquenté. » Elle lui adressa un sourire enjôleur avant de se hisser sur la pointe des pieds, pour murmurer à son oreille, son souffle courant sur sa nuque. « Mais je choisis l'endroit. » Jaden avait été extrêmement conciliant et patient malgré son caractère impétueux, c'était à elle de faire un effort. Oh, bien sûr, il était évident qu'ils ne se retrouveraient pas au sein du campus, ou de la ville. La jeune femme n'était pas encore dénuée de tout bon sens. Mais ce serait déjà un bon débout. Encourageant. Récupérant sa place initiale d'un pas léger, Bethany répondit à son sourire malicieux par une très légère esquisse en coin, qui pouvait signifier à la fois tout et son contraire : « Qui sait ce que je pourrais accepter si tu n'étais plus membre de cette confrérie... » Son intonation suave resta en suspens tandis que Beth, mutine, ne quittait pas Jaden du regard. Elle cessa cependant de jouer et renchérit immédiatement, d'un ton beaucoup plus neutre. « En dehors de tes frères, les gens te détestent pour une mauvaise raison, Jay. Ils ne connaissent rien de toi ou de la raison de la haine que te portent tes frères. Je parie qu'ils s'imaginent que tu es encore pire plus tordu et vicieux que l'ensemble des KBO, pour qu'eux-mêmes te tournent le dos. » Elle était convaincue que si les étudiants connaissaient la vérité, la plupart changeraient de bouc émissaire sans se poser davantage de question. Bien que Jaden se fichait de son image ou de la solitude qu'il semblait apprécier, Bethany savait qu'il valait terriblement mieux que cette réputation et cette confrérie.

Jaden poussa un soupir à la remarque de Bethany, qui visiblement voulait lui faire promettre qu'il accepterait de se soigner ou au moins de soulager sa douleur. Il pouvait bien lui promettre, mais qu'il le fasse était une toute autre chose. Il était vrai qu'aller voir l'infirmière ne lui coûtait absolument rien, mais encore une fois sa fierté l'empêchait d'accepter une aide extérieure. Il savait pourtant bien que c'était la seule manière de moins souffrir, mais cela lui était égal. Il arrivait la plupart du temps à cacher sa douleur et prétendait que tout allait parfaitement bien. « Très bien, j'irai voir l'infirmière. » C'était un mensonge éhonté, et il était persuadé que Bethany ne serait pas dupe et qu'elle se rendrait bien compte du bobard que venait de lui servir Jaden. Mais il s'en moquait. Elle voulait lui faire promettre qu'il irait, et même si cela n'avait rien de vrai, elle avait réussi à extirper ces mots là de la bouche du jeune homme. Et elle était certainement l'un des rares personnes à qui il pouvait promettre ce genre de choses, mêmes factices, au lieu d'user de son éternel sarcasme. Il ne voulait plus penser à sa main, elle le faisait déjà assez souffrir pour que la brunette se mette à le sermonner là dessus. Mais un sujet désagréable en entraînant un autre, Bethany voulut savoir pourquoi il ne voulait pas, ou plutôt pourquoi il ne pouvait pas quitter les KBO. Encore une fois son égo masculin reprenait le dessus, et il ne voulait rien avouer. Ce n'était pas quelque chose de spécialement grave, mais assez honteux pour que Jaden n'en parle pas. Enfin cela semblait honteux aux yeux de Jaden. Pourtant en voyant le regard que lui lançait Bethany, il ne pouvait se résoudre plus longtemps à éviter sa question. Il ne pouvait jamais se résoudre bien longtemps à mentir à son amie, enfin pas sur tous les points cela dit. Mais disons qu'elle était l'une des rares personnes à se targuer de pouvoir percer la carapace du jeune homme, qui ne laissant que très rarement entrevoir ses faiblesses. « Je peux pas quitter la confrérie Beth parce que je suis pauvre. Tu comprends ça ? J'ai pas assez d'argent pour me payer cette stupide université, et si je pars je perdrais ma bourse. T'es contente ? », avait-il alors lâché en s'énervant trop brusquement. Il s'était énervé beaucoup plus qu'il ne l'aurait souhaité, et il s'en voulait. Il détestait sortir de ses gonds en compagnie de la brunette, parce qu'il l'appréciait beaucoup trop pour avoir envie de la blesser d'une manière ou d'une autre. Mais cette histoire le rongeait, parce qu'il était bien trop fier pour admettre qu'il n'avait pas un sou en poche. Il avait à peine de quoi se nourrir, et c'étaient là les seules dépenses qu'il s'autorisait. « Je suis désolé de m'être emporté. » Et c'était une des rares fois où il le faisait, et il ne s'excusait pas devant n'importe qui. Seulement devant les personnes qui comptaient un tant soit peu pour lui, et ces personnes là étaient rares à ses yeux. Parce qu'il évitait de se livrer trop facilement. Il ne se livrait que très rarement en réalité, et il y avait des tas de choses que la plupart des gens ignoraient à son sujet et qui l'ont rendu aujourd'hui ce qu'il est. Oubliant peu à peu sa confession, espérant qu'elle n'allait pas pas rebondir sur le sujet, il fut plus intéressé par les paroles que Bethany venait d'avoir que par ses actuels soucis d'argent. « Cela signifie quoi exactement pour toi un lieu plus fréquenté ? » Parce que même s'il n pouvait que se réjouir de cette proposition, il était difficile de trouver un endroit moins fréquenté que celui là. Et de toute manière il savait bien que Bethany n'avait décidé de rendre son amitié publique avec Jaden en une seconde. Alors il était certain qu'un endroit plus fréquenté devait avoir une toute autre définition pour la brunette que pour le jeune homme. « Et oui et que serais-tu capable de faire ? », lui demanda-t-il un sourire malicieux sur les lèvres, qui s'effaça aussitôt qu'il était apparu. Il voulait la prendre à son propre jeu. Il savait pertinemment qu'il ne pouvait prendre au pied de la lettre tout ce que disait la jeune femme, surtout quand elle prenait cet air là. « Je m'en fiche que les gens me détestent Beth. Je crois que ça t'embête bien plus que moi toute cette histoire. » Il se moquait bien de tout ce qui était arrivé, il vivait très bien sa soudaine descente aux enfers et sa solitude. En revanche il était clair que cela semblait causer beaucoup plus de problèmes à la jeune femme qu'à lui-même.

Bethany ne quitta pas Jaden des yeux, jusqu'à ce qui lui promette d'aller chercher de quoi soulager sa main. Certes, elle était persuadée qu'il avait cédé uniquement pour clore le sujet mais la jolie brune ne put empêcher la formation d'une très légère esquisse satisfaite sur son visage de poupée. La jeune femme savait que Jaden était bien assez grand pour se débrouiller mais elle le connaissait également bien trop fier pour s'écouter réellement ou concevoir qu'il avait besoin d'aide. C'était une attitude qu'elle pouvait comprendre puisque si Bethany était plutôt généreuse et bienveillante, disposée à aider ceux qu'elle appréciait, elle n'osait que très rarement demander la même chose. Non pas par gêne. Mais parce que dévoiler ses failles était toujours très délicat. Surtout lorsque l'on venait d'un certain milieu social où la vie était censée n'être qu'un long fleuve tranquille selon le point de vue du commun des mortels. En parlant de faille, Bethany ne s'attendait absolument pas à la bombe que s'apprêtait à lancer Jaden. A l'instant même où il haussa le ton pour expliquer la vraie raison qui le poussait à rester auprès des KBO, la brunette rompit immédiatement le contact visuel et chercha un autre point d'ancrage que les yeux de Jaden. N'importe où, sauf là. Quelque peu surprise par la colère du garçon, elle recula instinctivement d'un pas. Non pas par peur ou intimidation, uniquement par surprise. Elle ne s'était attendue ni à cette réponse, ni à la réaction de Jaden. Ses joues très pâles prirent rapidement une teinte rosée tandis que Bethany tâchait de retrouver sa prestance et son raffinement habituel. Elle qui était si mondaine, rompue aux discussions et possédant toujours le bon mot restait silencieuse. Interdite. Elle regrettait d'avoir poussé le garçon à se confier de la sorte, puisque à la vue de sa réaction disproportionnée, il n'en avait eu aucune envie. « Je... » Un peu décontenancée, la brunette fit machinalement glisser une main délicate dans sa chevelure ondulée, à la recherche du bon mot. Qui ne venait pas. Ses yeux retrouvèrent lentement le chemin du visage de Jaden et elle se racla la gorge, gênée. Bethany pensait que la raison qui poussait son ami à rester au sein du KBO était une machination grotesque de plusieurs frères, un sale coup fourré qui l'empêchait de retrouver sa liberté. Cela aurait été préférable, puisque déjouable. Là, il était davantage au pied du mur. « Je ne sais pas quoi dire. » avoua-t-elle piteusement. En réalité, c'était faux. Quelques mots lui brûlaient les lèvres. Beth aurait pu l'aider. L'argent n'était pas un problème pour elle, le temps qu'elle respectait les exigences de ses parents. Ceux-ci ne plaisantaient pas avec ça. Son frère aîné les avait déçu en refusant d'entrer à l'université pour poursuivre son rêve et à l'instant même où il avait quitté la demeure familiale, son compte en banque avait été fermé. La brunette l'aidait aussi souvent qu'elle le pouvait, bien qu'il semblait la mépriser presque autant que leurs parents. Sûrement parce qu'elle était trop lâche pour suivre son exemple. Voilà ce qu'elle aurait aimé proposer à Jaden. Mais Bethany le savait trop fier pour accepter et ne voulait pas se montrer vexante en lui proposant une aide financière. Contrairement à elle qui avait été élevée dans le luxe et l'opulence, l'argent était un sujet tabou pour le reste du monde. D'un ton beaucoup moins assuré qu'auparavant et sûrement plus doux, sa voix délicate rompit un silence qui n'avait que trop duré, devenant des plus pesants. « Je ne veux pas te forcer la main ou te faire une proposition déplacée mais si un jour, tu as besoin de quoi que ce soit... » Bethany ne finit pas sa phrase. Elle ne souhaitait ni embarrasser Jaden, ni le mettre davantage en colère. C'est pourquoi elle se contenta de lui adresser un sourire faiblard, tandis qu'elle jouait nerveusement avec le bracelet en or blanc qui ornait son poignet. « Ça n'est rien. Je suis désolée d'avoir été intrusive. » renchérit la jeune femme, une moue confuse aux lèvres. Jaden aurait dû aborder le sujet de lui-même. Certes, elle était au fond d'elle heureuse qu'il l'ait fait, c'était une grande preuve de confiance et elle l'appréciait. Néanmoins, elle l'avait mis mal à l'aise et ça n'avait pas été son intention, loin de là. Sujet clos. L'ambiance avait sombré et Bethany espérait que sa proposition allait rendre ce local technique un peu moins morne. Un sourire beaucoup plus lumineux que les précédents prit place sur ses lèvres rosées, tandis qu'elle exposait d'un ton badin son idée : « Je ne sais pas, je pourrais t'inviter à boire un verre pour me faire pardonner de cet affreux local technique. » Elle releva des yeux pétillants sur la silhouette du garçon, attendant une réaction de sa part. C'était un énorme progrès en soi. Même si, bien entendu, par boire un verre, Bethany entendait à Detroit. Bon, peut être était-ce encore trop près. Pourquoi pas à Cleveland ? Ou à Chicago ? La question de Jaden la surprit quelque peu et sa propre réaction encore plus. Beth n'était pas connue pour être spontanée ou impulsive. C'était une jeune femme pondérée et mesurée qui ne laissait aucune place au doute et aux surprises. Elle était toujours en contrôle d'elle-même parce qu'elle n'avait pas le droit de se laisser aller et de mettre en péril ce pourquoi sa famille et elle-même avaient travaillé si dur. Néanmoins, peut être était-ce l'atmosphère confinée et sombre du local ou bien la précédente confession de Jaden... mais sans même avoir le temps d'y songer (sinon la brunette se serait raisonnée), son corps se retrouva tout contre celui du garçon et comme animées d'une volonté propre, ses lèvres effleurèrent les siennes avant de s'en emparer dans un baiser. Électrisée par ce simple contact physique mais de nouveau en pleine possession de ses moyens, Bethany se détacha prestement de Jaden - bien qu'à regret - pour reprendre sa position initiale avant de lâcher avec une désinvolture qui n'était clairement pas la sienne, répondant à sa question : « Ça, par exemple. » Quelque peu troublée par cette spontanéité qu'elle ne se connaissait pas, la brunette oublia même de répondre quelque chose à la dernière réplique de Jay. Il n'avait d'ailleurs pas tort...

Jaden avait lui même était surpris par la brutalité de ses paroles. En aucun cas il n'avait voulu vexer ou blesser son amie. Mais cela avait plus fort que lui, il n'avait pu s'empêcher de monter sur ses grands chevaux, face à l'insistance de Bethany pour connaître la raison qui le poussait à rester dans cette fraternité qu'il haïssait tant. Il détestait dévoiler ses failles, et il venait clairement de le faire. Et il se sentait désarmé face à la jeune femme. Il avait l'impression d'en avoir trop dit. Jamais il n'avait eu l'intention de dévoiler cela à quiconque mais face aux jolis yeux de la brunette il s'était senti impuissant. Il n'avait pu se résoudre à lui mentir plus longtemps, même par omission. Il ne voulait pas qu'elle le regarde différemment après tout ça. Et surtout ce qu'il ne voulait absolument pas c'est qu'elle lui propose de l'aide, il ne voulait de l'aide de personne. Et encore moins de l'aide financière de Bethany, c'était à lui de régler ses problèmes tout seul. Toutefois et comme il s'en doutait elle ne put s'empêcher de se montrer charitable envers lui. Il savait bien que cela partait d'une bonne intention, mais d'un autre côté cela commençait par l'agacer parce qu'elle savait très bien qu'il se sentirait encore plus mal qu'avant si jamais il acceptait une quelconque aide de sa part. Et il n'en voulait pas, et si le prix à payer c'était de subir les railleries quotidiennes de ses camarades il l'acceptais sans broncher. « Non s'il te plaît vraiment ne me propose rien du tout. », répondit-il heureux qu'elle ne termine finalement pas sa phrase. Il se sentirait plus gêné qu'autre chose, et Bethany et lui avaient bien d'autres problèmes dans leur relation sans en plus l'encombrer avec de la gêne. Mais il était tout de même soulagé de voir que la jeune femme ne lui en voulait pas. Il s'en serait terriblement voulu si jamais elle s'était mise en tête de ne plus adresser la parole après les mots qu'il avait eu. Fort heureusement ce ne fut pas le cas, et au final il ne lui en voulait plus tellement d'avoir tellement voulu savoir. Après tout comme l'on dit la curiosité est un vilain défaut est quand on a une information devant les yeux il est très difficile de ne pas s'en saisir. Alors il ne pouvait pas vraiment la blâmer, alors il lui adresse un léger sourire amical, qui aussitôt qu'il était apparu avait disparu. Il ne voulait pas que ce silence atrocement gênant à ses yeux vienne s'installer entre eux, et il fut soulagé de voir que Bethany la première brisa le mutisme dans lequel il venait tout deux de s'installer. « Un bar ? C'est un énorme progrès déjà. Je ne peux évidemment qu'accepter. » Il se doutait pourtant que ce serait une ville assez éloignée de celle-ci mais il ne pouvait décemment refuser. L'occasion de passer du temps avec elle était trop belle pour qu'il la refuse, et surtout cela ne se ferait pas dans un endroit reculé. Avec la jeune femme toutes les occasions étaient bonnes à saisir, parce qu'au final elle était assez occupé, et il ne refusait jamais de passer du temps avec elle quand l'occasion se présentait. Et sans qu'il n'ait eu le temps de se rendre compte de quoi que ce soit, la jeune femme se rapprocha de lui et lui colla un baiser sur les lèvres. Surpris, il ne put tout de même s'empêcher de ce si court instant avant que Bethany ne se détache de lui. Il la regardait surpris, ne sachant pas réellement ce que ce baiser signifiait. « Je ne sais pas tellement à quoi tu joues là Beth. Je ne veux pas être une distraction de plus à tes yeux. » Parce que réellement il était perdu après ce baiser. Il ne voulait pas que la jeune femme le considère comme un jouet, qu'elle pouvait embrasser quand elle le voulait, parce qu'au final ça lui ferait certainement trop de mal de n'avoir que ça de sa part. Et il préférait couper à court avant que la situation s'envenime, parce que si Bethany n'était pas prête à assumer son amitié avec lui, elle ne le serait jamais non plus pour assumer une quelconque relation avec le jeune homme. Même s'il était persuadé qu'elle avait agi sous le coup de l'impulsion plus qu'autre chose, et qu'il n'y avait rien derrière tout ça. Et même s'il devait réprimer l'envie de coller ses lèvres aux siennes une nouvelle fois, il ne voulait pas que leur relation ne devienne encore plus compliqué qu'elle l'était déjà tant que Bethany ne se déciderait pas à changer.

Bien évidemment, Jaden ne désirait pas de son aide. Bethany s'en était doutée et n'insista pas. C'était son choix et elle ne voulait pas qu'il imagine qu'elle le prenait en pitié, ou un autre sentiment aussi nocif. Ca n'avait rien à voir. Néanmoins, elle comprenait sa réaction. Après tout, peut être que la situation était délicate pour lui mais il était ici, à l'université. Dans quelques années, le garçon pourrait sûrement prétendre à un avenir radieux et il ne le devrait qu'à lui seul. Bethany était souvent lasse de sa condition : peu importe à quel point elle était talentueuse, intelligente ou encore impliquée dans tout ce qu'elle entreprenait, ça ne comptait pas. Elle partait de bien trop haut pour véritablement briller par elle-même ou susciter le respect ou l'admiration. La brunette avait un nom encombrant et une fortune parentale qui pouvait l'être tout autant. Les portes s'ouvriraient sans trop de difficultés pour elle et jamais elle ne saurait si c'était son cursus scolaire brillant qui l'aiderait à prétendre à la vie parfaite qu'elle désirait. Ou bien... si c'était son illustre famille, ce qui serait nettement moins gratifiant. Au moins Jaden aurait de quoi être fier de son parcours. Même en se tuant à la tâche, Beth n'aurait pas le même privilège. Bien sûr, les problèmes d'une gosse de riche trop lucide semblaient bien dérisoires à côté de la situation de Jay et c'est pourquoi elle se contenta de changer de sujet après un silence qui n'avait que trop duré. Un sourire lumineux éclaira son visage lorsque Jaden accepta. Elle n'avait pas réfléchi un instant lorsqu'elle lui avait proposé une rencontre dans un lieu public. C'était un véritable pas en avant. Ou alors... un pas sur le côté plutôt, puisque le bar se trouverait bien éloigné du campus. Mais c'était la première fois qu'ils ne se verraient pas à deux, isolés dans un coin plus ou moins glauque. Et loin de l'université, Bethany pourrait sûrement se débarrasser d'une partie du poids qui lui affaissait les épaules. Loin du regard de tous ces visages connus, elle se sentirait sûrement plus libre. Libre de se montrer plus spontanée ou du moins plus naturelle, éloignée du carcan de la femme lisse et parfaite dans lequel elle se confortait la plupart du temps. Mais qui lui pesait de temps à autres. « Pourquoi pas mardi prochain ? Je m'occupe du tout, tu n'auras qu'à attendre près des anciennes mines qu'on vienne te chercher. Disons à dix-huit heures. » Sa voix rauque devenait de plus en plus enjouée au fur et à mesure que Bethany imaginait la chose. Elle avait tendance à se montrer sacrément directive et aimait que tout suive le chemin qu'elle avait tracé. La jolie brune n'aimait ni les imprévus, ni les surprises. Tout devait être parfaitement planifié et l'aléatoire avait tendance à écorner le contrôle drastique qu'elle exerçait sur sa vie et sa personne. C'est pourquoi des tas d'idées se bousculaient en ce moment même dans sa tête bien faite. Et apparemment, elles se bousculèrent assez bien pour lui faire perdre ses esprit un instant et atteindre un point de retour qui se matérialisa par les lèvres de Jaden sur les siennes. Bethany ne s'expliquait pas comment son cerveau avait-il pu à ce point se mettre sur off et laisser faire ça. Non pas qu'elle ne le désirait pas, bien au contraire. Mais la brunette était une femme rationnelle qui ne se laissait pas guider par ses envies, mais par la raison. Et ce qu'elle ressentait pour Jaden n'était pas raisonnable ou envisageable. Beth ne connaissait rien des ressentis du garçon mais dans tous les cas, elle taisait plutôt bien les siens puisqu'elle ne pouvait clairement pas assumer une relation avec Jay sans renoncer à tout ce qu'elle avait construit. Et comme le KBO semblait plutôt mal vivre cette amitié secrète, Beth n'était pas sûre qu'il désire s'engager sur un chemin encore plus houleux. La réaction du garçon la surprit néanmoins et la déception se lut un instant sur son visage avant qu'elle ne le force à retrouver un air plus serein. Ses yeux furibonds ne lâchaient pas les siens tandis qu'il lui assénait dans la même phrase le mot distraction et celui de jeu. Pardon ? Bethany n'était pas connue pour jouer. Elle était trop idéaliste pour ça et sans doute trop nourrie par les drames romantiques qu'elle avait longtemps dévoré. Certes, sa vie sentimentale était bridée et, n'importe quelle femme - même la plus parfaite et inaccessible - avait certains besoins à combler. Mais la situation ici n'avait rien à voir. Bien trop fière pour s'exprimer davantage après s'être volontairement humiliée devant Jaden, Beth ressentit le besoin de s'enfuir loin de ce local sombre qui l'oppressait. Jetant un coup d'oeil à sa montre comme si celle-ci devenait l'excuse parfaite, elle lâcha d'un ton beaucoup plus froid et distant que n'importe laquelle de leurs conversations : « Tu as parfaitement raison. » A propos de ? Même elle ne saurait le dire. En vérité, la réplique du garçon lui semblait maintenant floue et elle n'arrivait même pas à s'en souvenir distinctement. Seuls les deux mots qui l'avaient blessée résonnaient encore. « Je me suis assez divertie pour aujourd'hui, j'ai à faire. » Dos à la porte, Bethany l'ouvrit prestement et ajouta conclut plutôt fraîchement, sans perdre une once de sa superbe : « Bonne soirée Jaden. »