J'en avais gros sur le coeur depuis mon interrogatoire, gros sur la patate depuis que cette affaire avait éclaté au grand jour et gros sur les épaules depuis que j'avais dû répondre à ces questions en rapport avec la mort de cette étudiante. Même si un été s'était écoulé depuis la mort d'Ashleigh, je n'avais rien oublié et puis, ces flics sur le campus et cet interrogatoire, c'était pesant, c'était lourd. L'année venait de recommencer, j'entamais ma seconde année ici et j'avais déjà l'impression que j'avais tout fichu par terre. J'avais suivi les premiers cours sans entrain, sans bonne humeur. De toute façon, je ne pensais plus qu'à ça depuis que j'y avais eu droit. Même si je savais que je n'étais pas le seul a avoir été faire un tour dans le bureau du Doyen, j'avais tout de même l'impression d'avoir commis quelque chose de franchement pas malin, de pas très intelligent. J'étais membre de la confrérie STI depuis à peine quelques semaines et voilà que j'avais déjà l'impression que j'avais trahi les convictions de cette confrérie. Malin ! Nous étions en plein après midi, j'avais séché mes cours de mathématiques. Une grande première pour moi, croyez-le. A la place de suivre cette branche dans laquelle, de toute façon, je savais que j'excellais, j'avais donné rendez-vous à Beth', une amie sur qui je savais pouvoir compter, sur la presqu'île. Loin du campus, loin des regards indiscrets et des oreilles qui trainent de certaines personnes. Un endroit neutre où je pourrai me confier sans avoir peur qu'on nous écoute. J'étais en avance, elle n'était pas là. J'avais dans mon dos mon sac de cours que je lançais sur le sol, au pied d'un arbre sous lequel nous avions convenu d'un rendez-vous. Doucement, je me laissai tomber contre le tronc de l'arbre en question et soupirai. Il fallait que ça tombe sur moi, évidemment. J'avais à peine recommencer les cours que déjà, j'avais l'impression d'accumuler les problèmes. Et puis, soudainement, une ombre me fit comprendre que Bethany venait d'arriver. Sortant de mes pensées, je lui adressai un petit sourire en l'accueillant. « Beth', je suis heureux de te voir. » lui lançais-je en me redressant sur mes jambes, sans me départir de mon sourire.

Lorsqu'elle avait reçu le message de Cameron, Bethany s'apprêtait à se rendre à son cours particulier de tennis. Néanmoins, l'insistance du garçon pour qu'ils se voient rapidement laissait présager quelque chose d'important. Intriguée, la jolie brune avait fait décaler le rendez-vous de quelques heures. Après tout, ses parents payaient cet homme bien assez cher pour qu'il ne s'offusque pas et se plie à l'emploi du temps titanesque de sa cliente. Et puis, Beth avait cette façon absolument délicieuse de s'excuser de sa voix la plus veloutée que personne ne pouvait rien lui refuser. Surtout pas l'homme qui avait le loisir d'observer sa petite jupe plissée flirter dangereusement avec le haut de ses cuisses laiteuses. C'est donc vêtue pour son entraînement que la présidente des OP fit son apparition auprès de Cameron, un charmant sourire aux lèvres qui contrastait avec le lourd sac qui lui sciait littéralement l'épaule. Après l'avoir délicatement déposé sur le sol, Beth offrit au garçon une bise à la française avant de se laisser choir sur l'herbe, sa jupe immaculée voletant au moindre de ses mouvements au même rythme que sa haute queue de cheval. « Le plaisir est partagé. » commença-t-elle de son agréable voix mondaine, tandis qu'un sourire franc éclairait son visage. Tout en défroissant un pli imaginaire sur son polo Lacoste d'un rose pâle qui rappelait la couleur dominante de sa sororité, Bethany couva Cameron de son regard le plus attentionné avant de reprendre la parole : « Alors, qu'est-ce qu'il y a de si urgent pour que ça ne puisse pas attendre demain ? J'espère pour toi que c'est conséquent, tu m'as fait décaler mon entraînement et tu sais à quel point je déteste les imprévus. » Il est vrai que Bethany détestait les surprises ou tout ce qui n'était pas parfaitement planifié. Prévoir et suivre une route toute tracée la rassurait. Rigide, elle ? Non. Intransigeante ? Certainement. Bien entendu, elle plaisantait à moitié et le ton badin avec lequel elle s'exprimait ne tromperait pas Cameron. Elle avait tout de même hâte de savoir ce que le garçon avait derrière la tête. Il n'était pas non plus du genre imprévisible et ne la prévenait jamais au dernier moment. Etrange.

Voir Bethany me fit, l'espace d'un instant, l'effet d'un tranquillisant. Toute cette angoise disparaissait au simple son de sa voix. J'appréciais énormément cette jeune femme qui, curieusement, réussissait à m'appaiser là où d'autre ne faisait qu'empirer mon état semi-hystérique. Je lui souris, elle me sourit en retour. Simple bise et puis, nous prîmes place l'un à côté de l'autre, sous l'arbre. Je n'avais pu m'empêcher de remarquer son acoutrement, et je ne pus que réprimer l'envie de la complimenter sur cette tenue aguichante, certes, mais qui, sur elle, donnait un tout autre sens au terme "sensuel" ! Souriant en coin, j'accueillis ses "reproches" avec un doux rire, détournant mon regard du sien, fixant un point dans l'horizon. Je savais qu'elle ne m'en voulait pas spécialement, je le comprenais au ton de sa voix, mais il était vrai que je n'avais pas pour habitude de déranger les gens dans leur programme juste pour les voir. Et il était aussi vrai que Bethany n'accordait que très peu de sacrifices à son entourage et que, malgré tout, j'étais flatté de savoir que je pouvais compter sur elle, à n'importe quelle heure du jour et de la nuit... enfin, tout était plutôt relatif ! Plongeant mes yeux dans les siens, je tentai de garder contenance, ne perdant pas de vue mon objectif : lâcher du lest, avouer, me confesser. Amusé par cette situation rocambolesque, je penchai le visage sur le côté légèrement avant de prendre la parole. « J'avais besoin de parler à une personne de confiance. J'espère que tu jugeras le scoop suffisamment intéressant pour avoir retarder ton entraînement. » lui dis-je, sur un air taquin, bien qu'anxieux. « Je suis désolé d'interrompre ta journée comme ça, Beth'. » rajoutais-je sans attendre. Je pris le temps d'une pause pour observer alentour ; personne ! Tant mieux, je n'avais pas envie que mes confessions ne tombent dans les oreilles de quelqu'un qui ne me portait pas forcément affection. Baissant d'un ton, je plongeai mes yeux dans ceux de Beth, bien plus sérieux à présent. « Je crois que j'ai fais une grosse connerie lors de l'interrogatoire avec la flicaille Beth ! »

Apparemment et malgré son léger éclat de rire, Cameron avait pris sa boutade bien trop au sérieux puisqu'il se confondait en excuses. Il était vraiment l'archétype du bon garçon. Doux, sensible, touchant, intelligent et attentionné. La place de choix qu'il s'était forgée au sein des STI était amplement méritée. Cameron était un excellent élément qui n'avait plus grand chose à voir avec l'oisillon fragile et craintif à qui elle avait fait visiter le campus. Il s'était épanoui et ce spectacle était agréable à voir. Néanmoins, quelque chose semblait sincèrement le tracasser et Beth se savait une oreille attentive. C'est pourquoi les banalités d'usage pouvaient attendre, il était important que Cam puisse dire ce qu'il avait sur le coeur. « Voyons, Cameron, je plaisantais. Tu n'interromps rien du tout. » La preuve ? Elle était en tenue et jouait à deux pas d'ici. La brunette avait l'habitude de jongler avec un agenda bien rempli et savait parfaitement optimiser un maximum ses journées et déplacements. « Si tu as besoin de parler, c'est normal que je sois là. C'est bien ce à quoi servent les amis, n'est-ce pas ? » Bethany s'était exprimée de son éternel ton doux et cajolant, tandis qu'elle gratifiait Cameron d'un clin d'oeil. La jolie brune se considérait comme une personne bienveillante et de confiance. Elle était une très bonne amie, loyale et attentive au bien-être des autres. Néanmoins, elle savait aussi être exigeante et intransigeante. Elle ne supportait ni les mensonges, ni l'hypocrisie ni la trahison et peinait à accorder pleinement sa confiance. Pour autant, ceux qui n'obtenaient pas sa totale confiance ne pouvaient s'en rendre compte, puisque Beth se montrait toujours très cordiale et agréable avec eux. Ils n'étaient pas fautifs, elle était simplement très méfiante et sur ses gardes. Ses parents lui avaient inculqué cette réserve naturelle : après tout, de nombreuses personnes seraient tentées de se servir de son illustre nom, de sa condition sociale ou de son argent et elle devait s'armer pour éviter ça. Reconnaître les personnes dignes de confiance était un métier à part entière. Après un regard autour de lui, Cameron s'apprêtait à se confier. Instinctivement, Bethany se rapprocha de lui et plongea un regard concerné dans le sien. Sa petite confession lui fit un arquer un sourcil soucieux. Que voulait-il dire par là ? Comme pour l'encourager à continuer, la brunette osa une plaisanterie : « Je te rassure, j'ai commis une erreur moi-aussi : accepter de les laisser m'interroger sans la présence de mon avocat. Ces inspecteurs de bas-étage se croient tout permis, même quand cela signifie bafouer nos droits les plus élémentaires. » Elle haussa les épaules avec désinvolture, avant d'esquisser une adorable moue contrariée. La seule raison pour laquelle elle avait acceptée d'être interrogée sans être couvée par le regard protecteur de son requin d'avocat, c'est uniquement parce qu'elle n'avait rien à cacher et ne souhaitait pas paraître plus suspecte aux yeux de la police. « Qu'est-ce que tu as fait Cami ? » s'enquit-elle doucement, ses yeux noisettes plongés dans les siens avec insistance. Une erreur était rattrapable, n'est-ce pas ? Si Beth pouvait faire quoi que ce soit pour l'aider, elle s'y essayerait. « Tu ne leur as pas menti, quand même ? »

Bethany était une fille incroyablement remarquable. Avec moi, elle avait été encore mieux qu'une soeur, elle m'avait fait visiter le campus à mon arrivée à la MVU, elle s'était montrée patiente, enjouée par ce rôle qu'on lui avait confié mais aussi motivée et très à l'écoute de ce que j'avais besoin mais aussi envie. Malgré moi, je m'étais attaché à cette jeune femme dont l'assurance débordante me mettait, encore aujourd'hui, en admiration. Comment pouvait-on manier le verbe avec autant d'aisance pour obtenir des autres tout ce dont on avait besoin. Sans vraiment le faire exprès, d'une simple boutade, elle avait su me faire culpabiliser sur quelque chose qui, quelques minutes plus tôt, ne me paraissait pourtant pas important. Souriante, elle m'annonçait alors que ce n'était qu'une plaisanterie, de quoi me mettre tout de suite bien plus à l'aise. La suite de sa phrase, dans laquelle elle m'annonça le plus naturellement du monde que nous étions amis, et que c'était la raison pour laquelle elle avait tout simplement déplacé son rendez-vous pour venir me voir. Mon appel au secours avait donc été un motif suffisant pour interrompre son agenda de ministre. Car en plsu d'être présidente d'une sororité, Bethany était une élève aux multiples passions et intérêts. J'admirais ce côté "mondain" qu'elle cultivait sans vraiment y faire attention. Cette classe qu'elle dégageait à chacune de ses apparitions, cette assurance qu'elle démontrait. « Merci, beaucoup. » me contentais-je de lui répondre en souriant. J'étais ravi qu'elle me considère comme un ami, ravi qu'elle m'apprécie et surtout ravi qu'on puisse être là, tous les deux, aussi naturellement que celà puisse l'être.

Je n'en oubliais pourtant pas mes confessions, mes erreurs. Et à peine fut-elle revenue sur le sujet que l'angoisse refit surface. Si elle m'avoua simplement avoir, à son tour, commis une erreur en répondant aux questions qu'on lui posait en compagnie d'un avocat, il fallait avouer que c'était loin d'être le même genre de boulette que j'avais, de mon côté, commise. Etouffant néanmoins un petit rire à sa remarque, je plantai mes yeux sur l'horizon, sans détourner mon regard. Un instant de silence, un second. Puis elle revint à la charge en me demandant ce que j'avais fait. Insistant même sur le fait qu'elle espérait que je ne leur aie pas menti... Et pourtant, elle venait de toucher LE point sensible. Le mensonge, celui que j'avais servi aux flics, celui que j'avais dit à ces gendarmes pour éviter qu'on me croit responsable de cet acte ignoble. Anxieux, je tournai mon visage vers elle, apparamment déboussolé et perdu. « Promets moi que tu me crois lorsque je te dis que je n'ai pas tué Ashleigh, Beth. » lui demandais-je avant toute chose. J'avais besoin d'avoir sa confiance, un point essentiel sur lequel me reposer. J'avais besoin de savoir qu'en vertu de mes mensonges, elle savait que j'étais innocent dans cette histoire et que je n'avais rien fait d'illégal. Sérieux, mon air avait changé, il était grave. « J'ai besoin que tu me fasses confiance... » la suppliais-je alors en gardant mes yeux plongés dans les siens.

Cameron la remerciait. De quoi, au juste ? Du fait qu'elle le considère comme un proche ? C'était tout à fait normal. C'était à son sens l'une des personnalités les plus admirables de l'université. Si la popularité pouvait s'acquérir au mérite, il dominerait très clairement le campus à la place d'Enzo Reed qui n'en était pas digne. Mais la majeure partie des gens n'offraient leur admiration ou leur respect qu'à des salauds ou des garces qui ne le méritaient pas. C'était sans doute la grande injustice de la vie lycéenne, puis étudiante. Alors qu'ensuite, les rôles s'inversaient. Les patrons cherchaient des employés en qui ils pouvaient avoir entière confiance et les femmes des hommes avec qui s'engager durablement. Cameron aurait son heure, si il continuait à se montrer aussi... lui-même. Il était très difficile à définir, ou même à cerner. Pour la plupart, il n'était qu'un garçon trop gentil, certes brillant mais surtout très naïf. Avec elle, il parvenait à être lui-même : et Bethany savait que Cam était loin d'être aussi candide qu'annoncé. Il tirait simplement avantage de la situation, sous le nez même de ceux qui estimaient se servir de lui. Ingénieux. Elle ne lui connaissait d'ailleurs aucun ennemi. A croire qu'il faisait l'unanimité. La brunette, le regard noisette vivement rivé sur le sien, attendant enfin qu'il s'exprime mais chaque mot semblait lui coûter. Cameron avait l'air décontenancé et perdu. Beth ne l'avait jamais vu se mettre dans cet état. Certes, cette histoire de meurtre était délicate pour tout le monde mais Cami avait l'air de porter le monde entier sur ses épaules, à cet instant. « Cam, si je devais innocenter une seule personne sur le campus à l'exception notable de moi-même, c'est toi que je choisirais. Pas une seule seconde je pourrais te soupçonner d'avoir assassiné Ash. » Ses yeux ne se détachaient pas des siens, comme pour lui ancrer cette phrase en tête et lui assurer son soutien. Bethany se savait persuasive. C'est pourquoi elle ajouta un sourire doux à sa tirade tandis que sa main effleurait délicatement le bras de Cameron, comme pour le rassurer. « Dis-moi ce qui te tracasses. Et va droit au but, s'il te plaît. Plus tu hésites, plus tu te tortures. » Et elle disait vrai. Le garçon semblait plus anxieux à chaque minute qui s'écoulait tandis que Bethany, elle, restait parfaitement lucide et sereine. Elle savait conserver pondération et élégance dans chaque situation. Seuls ses sourcils étaient froncés, ce qui offrait un regard concerné à son visage de poupée.