there's no time for drama

Green Hills Park était grand, Green Hills Park était ensoleillé encore et surtout calme, appaisant. Un endroit que je fréquentais souvent, un endroit que j'appréciais beaucoup d'ailleurs. Ce jour-là, j'avais pris de quoi bouquiner, j'avais mon sac-à-dos, évidemment, et je sortai à peine des cours. Il était presque dix-sept-heures et même si le soleil était sur le point de tirer sa révérence, je tenais à profiter de ces derniers rayons. J'avais enfilé un cardigan en laine style rétro qui me tiendrait suffisamment chaud. Je m'étais installé sur l'un des bancs qui étaient à disposition dans le parc et j'avais commencé ma lecture. Mon esprit vagabondait au rythme des passages que mes yeux dévoraient. Le temps n'avait plus d'emprise sur moi et le monde extérieur me paraissait déjà loin. J'avais encore, en moi, un poids qui pesait sur ma conscience mais j'étais bien décidé à l'assumer... seul ! je n'avais finalement pas eu le courage d'avouer à l'une des personnes dont j'étais le plus proche le poids de mes mensonges, j'avais préféré lui en inventer un de toute pièce pour couvrir celui que j'avais volontairement servi aux flics lors de notre interrogatoire. Finalement, ça n'était pas plus mal. Déjà une semaine de cours s'était effacée derrière moi, du temps, il ne m'en manquerait désormais plus pour faire fi de cette histoire. D'ailleurs, c'était bien ce que je comptais faire, oublier ! Il n'y avait plus que cette solution qui s'offrait à moi comme une évidence. En plus, le temps jouait en ma faveur, je disposais de suffisamment de preuves qui m'innocentaient pour ne pas avoir à me soucier d'être placé au banc des accusés. Quoi que... Ainsi, je laissai virevolter mon esprit sans me soucier de la voix féminine qui m'apostrophait. Dans mon monde, j'y étais depuis toujours, malgré moi, j'aimais me renfermer parfois, j'aimais me retrouver seul. C'était une mauvaise habitude mais c'était mon habitude, et je ne la perdrais sûrement pas de si tôt ! Alors oui, Bethany dû m'apostropher plusieurs fois pour qu'enfin je lève les yeux sur elle et que je quitte ma lecture.

Bethany était une acheteuse compulsive. En règle générale, elle ne faisait pas les magasins. La plupart de ses pièces lui étaient spécialement envoyées par les créateurs eux-mêmes. Ou par sa mère, principale actionnaire de Vogue, qui se servait directement à la source. Souvent, elle se contentait de choisir les tenues directement pendant les défilés et un employé les achetait pour elle. Ça, c'était le shopping raisonnable. Néanmoins, quand la brunette était agacée, contrariée, furibonde, ou simplement au bord de l'implosion, dévaliser les magasins et dégainer sa Black AmEx plus rapidement que son ombre l'apaisait de façon bien plus efficace que les séances de yoga qu'elle se forçait à pratiquer. Et là, c'était le cas. Bethany était de mauvaise humeur. Et ce, sans raison apparente. Pourtant, ça ne lui arrivait jamais. La jolie brune était d'un naturel calme et conciliant et ne sortait que très rarement de ses gonds et encore, jamais sans une excellente raison. Elle n'était pas si sujette aux sautes d'humeur non plus mais pourtant, ce jour-là faisait exception à la règle. Et c'est pourquoi, elle rentrait du centre commercial les bras chargés de sacs griffés. Elle aurait pu se les faire livrer directement au pavillon, mais entendre le bruissement des sacs et observer la parfaite harmonie de leurs différentes couleurs suffisaient à la détendre. Et non, Bethany n'était pas névrosée. Chacun sa thérapie : la sienne était très clairement saine et permettait d'éviter les dommages collatéraux qu'engendrait une crise de nerfs sur autrui. Elle aimait d'ailleurs penser que ceux qui disaient que l'argent ne faisait pas le bonheur ne savaient clairement pas où le dépenser. La jeune femme se dirigeait donc de sa démarche légère et gracieuse vers le pavillon, en coupant à travers le parc. Ses nombreux sacs ne l'empêchaient nullement de se mouvoir rapidement et de façon fluide et rien n'aurait pu entraver sa marche conquérante si ce n'est... la silhouette de Cameron, apparemment plongé dans un ouvrage. Les prunelles de Bethany se dardèrent immédiatement sur le garçon et elle s'arrêta immédiatement à sa hauteur. La brunette avait longuement réfléchi à leur dernière conversation et Cam n'avait pas été sincère avec elle. Avec le recul, son histoire n'était pas crédible mais c'était l'attitude du garçon qui était la plus choquante. Malgré tous ses efforts il avait sans cesse l'air mi-craintif, mi-inquiet, ce qui lui donnait l'air aussi peu sûr de lui quand lorsqu'elle l'avait connu. D'ailleurs, ce qu'il se donnait tant de mal à cacher lui creusait une adorable fossette soucieuse au front. Et ça, ça ne mentait pas. « Cameron ? » l'apostropha-t-elle délicatement, de sa voix mélodieuse. Aucune réaction. « Cam ? » Décidément, il semblait plongé dans son bouquin. « CAMERON ! » Beth avait haussé la voix, tandis que le bout de ses escarpins venait de rencontrer le tibia de Cameron, pour - enfin - le faire réagir. Victoire. Une fois qu'elle eut sa pleine attention, la jolie brune déposa doucement ses sacs sur le banc aux côtés de son ami mais resta elle-même debout, face à lui, le dominant de toute sa hauteur. « Tu sais, j'ai bien réfléchi à notre dernière conversation : tu n'as pas été honnête envers moi. Comme tu es bien placé pour savoir que le manque de sincérité a tendance à me rendre désagréable, je te laisse une seconde chance pour te rattraper. » Bien sûr, elle exagérait très légèrement mais sa voix veloutée semblait on ne peut plus claire et sérieuse. Ses yeux noisettes ancrés dans ceux du garçon, Beth ajouta : « Maintenant. »

Lorsque mes yeux se levèrent sur la silhouette de Bethany, soudainement, je me sentis mal. La dernière fois que nous nous étions vus je lui avais raconté un bobard si abracadabrant que même moi je n'avais pas réussi à y croire. Alors brusquement, je me sentis mal à l'aise, parce que j'étais sûr qu'elle avait compris mon stratagème et qu'elle n'allait pas me laisser m'en tirer comme ça. Je n'étais pas un menteur, je ne l'avais jamais été. J'étais un garçon plutôt discret et introverti mais je n'avais jamais menti à personne. Quoi que les gens me trouvent parfois trop lisse et trop "bon copain" ne soit pas forcément caractéristique du mensonge, je devais avouer que je jouais beaucoup de cette image. Enfin, ce n'était pas vraiment la question ! Bethany revenait d'un shopping que je comprenais plutôt intense au nombre de sac qu'elle portait. D'ailleurs, elle les posa à côté de moi et se tint, face à moi. Me regardant de haut comme ceci, mon estomac se noua d'avantage. Quelle stupidité d'avoir pu imaginer que l'histoire se tasserait et qu'elle me laisserait m'en sortir sans aucune autre explication. Elle ne prit pas le problème avec des baguettes et n'y alla pas par quatre chemins. Droit au but, c'était sa franchise que j'appréciais le plus. Alors, toujours aussi mal à l'aise, je cherchai mes mots. Il ne me restait donc qu'une seule et unique chance de me rattraper et, honnêtement, perdre l'amitié de Beth' n'était pas vraiment ce qui pouvait me faire le plus plaisir. Je comptais d'ailleurs bien trop sur son soutien pour envisager de prendre un tel risque. Je ne savais plus vraiment où me mettre et soudainement, tout l'espace du parc me paraissait bien trop étroit et étouffant. « Tu... Je suis désolé ! » commençais-je par lui dire, puisqu'il fallait bien dire quelque chose. Je fuyai son regard inquisiteur. Je me sentais mal de lui avoir ainsi menti. Et puis, j'observai alentour, personne, nous étions seuls. Alors je pris mon courage à deux mains et plantai mes yeux dans les siens. « Tu n'es pas la seul à qui j'ai ranconté des bobards Bethany... Si tu vois ce que je veux dire ! » peut-être n'avais-je pas besoin de lui dire clairement haut et fort que j'avais menti lors de mon interrogatoire, peut-être se souviendrait elle de notre précédente discussion et pourrait-elle en déduire que...

Cameron avait l'air si mal à l'aise et confus que Bethany aurait aisément pu être attendrie. Néanmoins, pas aujourd'hui. Elle était de très mauvaise humeur et croiser le garçon n'arrangeait rien à son agacement. Contrairement au reste du monde ou presque, la jeune femme était d'une droiture quasi exemplaire. Son amitié n'était pas une parole en l'air et elle était prête à beaucoup pour ceux qu'elle estimait. Vraiment beaucoup. Son intransigeance était bien évidemment à double tranchant : lorsqu'elle s'estimait déçue, elle ne pardonnait pas et tournait le dos avec une facilité déconcertante. La jolie brune si pondérée en société ne connaissait pas la demie-mesure dans ses relations, dès lors qu'elles dépassaient le stade superficiel des mondanités. C'est pourquoi, quand Cameron avait demandé expressément de la voir, elle avait fait fi de son emploi du temps pour venir à sa rescousse, parce qu'elle se doutait de l'importance que cela revêtait pour lui. Et en échange, que faisait-il ? Il lui mentait. Qu'il se dégonfle et refuse d'avouer ce qui lui pesait tant ne l'aurait pas dérangée. Bethany était la première à ne pas se confier, par sa méfiance naturelle. Si elle écoutait avec plaisir ses amis s'épancher, elle ne rendait que très rarement la pareille. Il en fallait beaucoup pour se voir accorder sa confiance et d'un rien pour la perdre. Et Cameron risquait de l'apprendre à ses dépends. Lorsqu'il s'excusa en balbutiant avec ses yeux de biche qui auraient fait fondre le plus glacial des coeurs, Beth se contenta de faire claquer sa langue contre son palais pour le faire taire... et reprendre immédiatement la parole. « Que tu sois désolé n'a aucune importance. Je ne t'ai pas demandé de te confier à moi, c'est toi qui l'a réclamé. Alors la moindre des choses aurait été d'éviter de me mentir en me regardant droit les yeux et en pensant que je serais assez demeurée pour te croire. Que tu ne veuilles plus avouer ce qui te tourmentes, c'est ton droit et je l'aurais respecté. Que tu m'appelles au secours pour au final me servir un tas d'inepties par contre, je ne l'accepte pas. » Les bras coincés sous sa poitrine et le regard toujours vrillé dans celui de Cameron, Bethany ne plaisantait pas. Néanmoins, sa voix était toujours aussi douce et son visage serein et délicat. Rien ne semblait montrer qu'elle était mécontente, à part l'intensité peu commune avec laquelle elle dévisageait son ami. Elle détestait être déçue. « Je vois très bien ce que tu veux dire, Cameron. » A vrai dire, elle avait compris qu'il avait menti aux inspecteurs. Après tout, il ne les connaissait pas. Qu'il fasse de même avec elle était bien plus dégradant. Après un coup d'oeil purement fictif à sa montre en or blanc, Beth reporta ses prunelles sombres sur Cameron, pour conclure : « Je ne te force en rien. Si tu désires me raconter ce qui te pèses tant, fais-le. Sinon, j'ai à faire. »

Elle pouvait paraître la plus douce possible et user d'un ton neutre pour me répondre, je savais qu'elle était déçue par mon comportement et que j'étais à deux doigts de perdre son amitié. Si elle pouvait paraître, aux yeux de tous, intransigeante mais toujours très chaleureuse et pondérée, je savais déceler dans ses yeux l'agacement lorsqu'elle l'éprouvait, peut-être par habitude, peut-être tout simplement parce que je la connaissais mieux que certaines autres personnes. Peu importe ! Je la regardai, j'essayais de rattraper le tort que j'avais pu lui faire mais elle me coupa, elle se montra glaciale sans pour autant se montrer tranchante et froide. Ses propos me firent comprendre qu'il était à présent temps de lui prouver à quel point je pouvais tenir à son amitié et à son soutien. Je ne pouvais détacher mon regard du sien, elle avait cette habitude de savoir imposer à son interlocuteur une parfaite attention. Elle savait se montrer reine d'un dialogue et savait parfaitement manier l'art et la manière d'exprimer son ressenti de manière plus ou moins conviviale pour n'avoir à ne blesser personne. Mais entre les lignes, le message était on ne peut plus clair. Alors je lui avouai avoir menti aux inspecteurs sans pour autant m'appronfodir sur le sujet. Elle observa sa montre, elle me fit simplement comprendre qu'il était temps pour moi de saisir la chance de me confier sous peine de la voir tourner les talons non seulement à cette conversation mais aussi à notre amitié. Alors, déglutissant sur el banc, je m'appuyai contre le dossier sans la quitter des yeux. « Je vais tout te dire Beth'. Mais assied toi s'il te plaît, ou je vais attraper un torticolli monstre à te regarder de la sorte. » tentais-je de dire sur un ton confiant, légèrement taquin, histoire d'alléger l'atmosphère pesante dans laquelle nous étions. Avant même qu'elle ne s'assoit ou qu'elle me réponde, je poursuivai. « J'ai affirmé aux inspecteurs ne pas connaître Ashleigh et ne jamais l'avoir vu en dehors du bizutage auquel nous avions tous les deux participer. » Ce bizutage pendant lequel nous avions été menottés l'un à l'autre pendant 48 heures. Ce que Bethany savait déjà puisque je le lui avais dit l'année passée. « Ce qui est totalement faux en soit puisque Ashleigh et moi avions l'habitude de nous voir plusieurs fois par semaine. Nous étions... proches, très proches. Mais nous ne voulions pas que ça se sache, elle ne le voulait pas. » Et jamais je ne saurais pourquoi elle désirait tant que notre amitié reste un secret.