Samedi matin. Contrairement à la majorité de ses soeurs, Bethany ne s'autorisait aucune grasse matinée. Elle n'avait jamais réussi à dormir le matin et estimait d'ailleurs que c'était une perte de temps : ses journées étaient si chargées que la jolie brune ne pouvait se permettre de se lever à onze heures. Ou alors, cela signifierait sacrifier une bonne partie de sa journée sur l'autel de la paresse, ce qui était impensable lorsque l'on connaissait sa rigueur. Il était neuf heures lorsque la brunette pénétra de sa démarche légère et gracieuse dans la cuisine, après ses exercices de yoga et une douche délassante. Encore vêtue d'un élégant déshabillé, Bethany mit quelques secondes avant de remarquer la présence de l'indésirable. Elle eut le temps de traverser la cuisine et de se saisir d'une grappe de raisin. C'est en faisant volte-face que ses yeux noisettes rencontrèrent une silhouette torse-nu, tranquillement accoudée sur le plan de travail. Enzo Reed. La brunette se retint d'esquisser une moue contrariée et conserva son sang-froid tandis que ses prunelles se détachaient des yeux sombres du président des KBO. Si elle n'avait pas été aussi réveillée, elle aurait pu songer à un cauchemar. Qu'est-ce qu'il fichait ici ?! Bethany s'évertuait à l'ignorer en règle générale et ne le fréquentait pas plus que nécessaire. Elle le méprisait cordialement et refusait de lui accorder de l'importance ou même l'attention qu'il semblait tant rechercher. La jolie brune n'était pas une femme conflictuelle, elle détestait ceux-là et préférait s'en sortir avec une politesse feinte et une courbette. Elle n'allait jamais frontalement contre les gens et se contentaient de faire comme si ils n'existaient pas, c'était plus simple et d'un civisme parfait. Néanmoins, là, il la narguait sur ses terres. Certes, ça n'avait pas toujours été le cas, mais Enzo était l'exemple parfait des anciennes connaissances décevantes qui avaient un jour gravité dans sa vie. Beth était conciliante et agréable avec ses amis, mais dès lors qu'elle était déçue, elle n'excusait pas et ne pardonnait rien. « Enzo. » le salua-t-elle d'un ton plutôt courtois, bien qu'on y dénotait une certaine répulsion. « Que me vaut ce déplaisir ? » Sa voix sucrée était toujours aussi agréable bien que le sarcasme était palpable. Et qu'en réalité à la place de cette formule guindée et détournée il fallait entendre : 1. Qu'est-ce que tu fiches ici ? 2. Dégage.

Il y a des matins comme ça, où le reveil sonne comme une douce victoire. Quand il y a en plus l'odeur du café chaud et des croissants français qui monte au nez, on ne peut nier la perfection de la matiné. Surtout lorsque l'on sait que la matinée s'annonce aussi agitée que jouissive. Enzo venait de coucher avec Manoé. Il avait lié l'utilile à l'agréable en couchant avec la catin rousse des Omega Phi. Non seulement il avait pu ajouter une des sois disantes soeur parfaite de la fac, à son tableau de chasse, mais en plus il pouvait faire lourdement enrager Bethany. C'est donc avec un sourire jusqu'aux oreilles que l'italien se rendit dans la cuisine, vêtu simplement d'un boxer. Il se servit un café, et tout en s'appuyant au plan de travail de cette magnifique pièce, entama sa boisson qui avait un goût frais de puissance. La carotte était donc posée, il fallait désormais attendre le lapin, qui n'allait très certainement pas tarder. Enzo eut d'ailleurs à peine le temps de boire quelques gorgées que la présidente des Omega Phi faisait son apparition dans la cuisine, et en petite tenue de surcroit. Elle mit un peu de temps avant de réaliser qu'elle n'était pas seule. Lorsque son regard croisa celui de Reed, il esquissa un beau sourire et ne se gêna pas pour la relooker. Si elle l'intéressait ? Assurément pas. Leur passé lui empêchait d'imaginer quelque chose. Elle ne tarda pas à ouvrir la bouche pour laisser filer le prénom du président des Kappa Beta Omega. Fièrement et naisement il aquiesca. La question qui suivit, remplie d'ironie, remplis de satisfaction Reed. Elle était mécontente de le voir ici, c'était déjà une première victoire. Il répondit alors avec ce même sourire narguant : « Reagan, buongiorno! Eh bien écoute, je rendais une petite visite à une de tes soeurs, Manoé. J'étais venu voir s'il te restait de la chantilly, mais je me suis arrêté pour une tasse de café. » Il montra la tasse tout en continuant son petit jeu, avec cet air incroyablement sympathique. Il fit même signe à la jeune femme de s'asseoir face à lui, et prit place sur un tabouret non loin du plan de travail. Prenant l'air curieux, en fronçant les sourcils il demanda : « Dis moi tu sais si Esther ou Noélie sont là ? Histoire que je continue ma visite de routine. » Il bu ensuite une nouvelle gorgée et ajouta : « Oh et à l'occasion tu me présenteras tes bizuts! » Il se saisit ensuite sans se lever d'une tasse vide et servit un café à Bethany, avant de lui tendre.

La matinée venait à peine de commencer que déjà, Bethany sentait que cette journée serait longue et fastidieuse. Tomber nez à nez avec un Enzo à moitié nu, installé confortablement dans sa cuisine comme si c'était tout naturel, n'était pas la meilleure façon de commencer une journée. D'autant plus lorsqu'il se faisait un plaisir de la narguer. En même temps, la jolie brune n'avait rien espéré de plus, le connaissant. Alors qu'elle exécrait les conflits et les coups de poignard dans le dos, ceux-là étaient les distractions préférées de Reed. Il était bien loin, le garçon qu'elle avait connu. Certes, il n'avait jamais été un ange, loin de là. Mais il n'avait pas toujours été si mauvais. Sans doute l'absence d'une mère l'avait construit de cette façon, et la déception finale à la suite de cette traque sans relâche avait dû faire le reste. Mais Bethany ne l'excusait pas. Ils avaient tous les deux pris des chemins radicalement différents et n'avaient plus rien à faire ensemble. Alors comme ça, il venait voir Manoé ? Première surprise. La jolie brune haussa un sourcil, laissant apparaître un éclair de surprise avant de se reprendre. Son visage de nouveau serein, elle prit soin de darder un regard dénué de toute émotion dans le sien, tout en secouant légèrement la tête : elle ne le croyait pas une seule seconde. Manoé ne lui ferait jamais ça. Sa réputation la faisait assez souffrir pour qu'elle accepte une relation montée de toute pièce, ça n'était pas pour plonger gaiement dans la gueule du temps. Pas après tout ce que Beth avait fait pour elle. « Manoé a bien trop de principes pour accepter tes 'petites visites'. A d'autres. » Du moins, c'est ce qu'elle croyait. Sans s'asseoir (osait-il l'inviter à s'asseoir dans sa propre cuisine ?), la jolie brune l'écouta déblatérer ineptie sur ineptie, son air délicat laissant peu à peu la place à un air excédé. Elle n'était pas d'humeur à jouer avec Enzo. Elle ne l'avait jamais été, et ça ne commencerait pas aujourd'hui. Bethany estimait que rentrer dans son jeu serait accepter l'idée qu'elle puisse être aussi médiocre que lui. Et ça, elle le refusait. Repoussant la tasse de café qu'il lui tendait, elle répondit, d'un calme olympien : « C'est donc ça, ton unique ambition ? Visiter toutes les filles du campus ? » La brunette tâchait d'employer un langage châtié, comme à son habitude, mais ses mots franchirent la barrière de ses lèvres ourlées sans qu'elle ne puisse les contrôler. « Une vraie traînée. Maman doit être fière. » L'espace d'un instant, son regard se voila et apparut moins assuré et serein. Bethany n'avait pas voulu dire ça. Elle le pensait, oui, mais jamais elle n'avait voulu le dire, à voix haute. Contrairement à Enzo, elle ne se faisait pas un plaisir de rabaisser les autres ou de les blesser consciemment. Jamais elle n'avait parlé de la mère de Reed. A personne. Elle aurait pu s'en servir contre lui mais l'idée ne lui avait pas traversé l'esprit parce que c'était une bonne personne. Respectable. Mais il fallait croire qu'Enzo réveillait ce qu'il y avait de plus mauvais en elle. Légèrement décontenancée par son propre comportement, elle qui s'était toujours refusée de se battre avec les mêmes armes souillées qu'Enzo, Beth se saisit finalement de la tasse de café pour en avaler une rasade fumante histoire de s'occuper. Elle n'attendait qu'une chose : qu'il parte.

Ce jeu s'annoncait réellement marrant. Enzo prenait un plaisir à titiller son ancienne amie. D'abord parce qu'elle l'avait pronfondément déçue, mais aussi parce que c'était son devoir en tant que président des Kappa Beta Omega de combattre les autres confréries. Celle de Bethany ne devait pas déloger à la règle. Dés qu'il y avait une possibilité pour les humilier, les ridiculiser et prouver leur inferiorité, Enzo le faisait. Il venait encore une fois de le faire avec les Omega Phi, et il se placait encore une fois dans la posture du dominant, admirant tout ses dominés. Manoé ne sortait pas de la chambre, surement occupée à sécher ses larmes dues à l'atrocité de ce qu'elle venait de faire. Il y aurait des répercussions pour elle c'est sur. En soit c'était dommage, elle n'avait rien de la méchante fille. Mais elle l'avait mérité, elle avait osé attaquer Enzo, et elle s'en mordait à présent les doigts. Tout en buvant agréablement son café, Enzo admira l'air surpris et mécontent qu'affichait Bethany. Elle ne le croyait pas, ce qui allait rendre le dénouement encore plus drôle, quand Manoé allait avouer ses actes à sa présidente. Quel scandale chez les Omega Phi. « Ne me crois pas. Mais elle a crié comme une truie qu'on égorge. Je pensais que tu ne pouvais pas louper ça. Et puis si tu veux pas croire tout ça, monte vérifier par toi même. Je crois qu'elle est déjà en train de changer les draps. » Il haussa les épaules innocement et attrapa une pomme à côté de lui qu'il croqua violemment pour narguer un peu plus son opposante qui en ce début d'entrevue ne rendait aucun coup. Cela allait venir. Enzo ne pouvait pas mieux imaginer que les deux répliques qui fusèrent ensuite. Elles pouvaient paraitre anodines pour des oreilles iconnues, mais elles transperserent ce qui servait de coeur à l'italien. Il perdit son contrôle l'éspace d'un instant et ses yeux se fixèrent sur Bethany qui semblait presque regretter sa phrase. Le regard de l'italien prit une toute autre couleur, et son visage se ferma presque instantanément. Il se leva alors brusquement et avança vers Bethany. Perdant son sang froid il attrapa avec sa main gauche le visage de la jeune femme, qu'il serra légerement. Il chuchota alors, beaucoup plus sérieux, mais plus méchant que jamais. « Je baiserai chaque prude de ta soriorité pour te prouver à quel point tes soeurs sont des catins. Considère que ta réputation sera anéantie avant la fin de l'année. Peut être même qu'Elliott Baldwin peut se montrer bavard sur certains sujets...Comment papa régirait s'il apprenait toutes les cochonneries que fait sa petite fille adorée ? » Il relâcha l'emprise, et recula un peu, il croqua ensuite dans sa pomme. « Evoque encore une seule fois ce sujet, et ce petit jeu va prendre une toute autre tournure. Je t'aurais prévenu. » Sa menace achevée, il retourna à sa place initiale derrière le plan de travail et tenta de retrouver ce même air affiché au début. Il souffla et afficha un léger sourire pour ponctuer tout cela.

La façon dont il parlait de Manoé la révulsait et Bethany ne faisait absolument rien pour cacher le dégoût et le mépris qu'Enzo lui inspirait. Elle ne comprenait pas comment les filles pouvaient se retrouver si facilement entre les draps de cet être abject et irrespectueux. Le nez légèrement froncé et une moue répugnée aux lèvres, la présidente se promit d'aller démêler le vrai du faux auprès de sa soeur. Si la jolie rousse avait vraiment fait ça, il y aurait des répercussions. Et pas des moindres. Et ce n'est pas parce que Manoé était sans doute la soeur dont elle était le plus proche qu'elle ferait preuve de compassion envers elle. Elle avait fait tout son possible pour l'aider, l'épauler et la protéger des décisions tranchantes du Bureau. Maintenant, il y avait de grandes chances que les choses changent pour Manoé. Et sûrement pas en bien. Mais pour l'instant, Bethany avait un problème bien plus grave à gérer, à savoir la présence indésirable d'Enzo. « Je n'ai rien besoin de vérifier, ta parole ne vaut pas grand chose contre celle de Manoé. » C'était un mensonge, bien sûr. Beth n'accordait que très rarement sa confiance et se montrait très méfiante. Il était évident qu'elle allait devoir vérifier, mais elle n'allait pas laisser à Enzo cette jouissance. Elle comptait bien lui faire croire qu'elle n'accordait aucun crédit à sa stupide histoire. Néanmoins, la brunette fut presque désolée d'avoir parlé trop vite en voyant le visage de Reed se crisper. Elle l'avait blessé, ça n'était pas délicat à comprendre. Et elle n'en tirait aucune fierté, au contraire. Bethany ne l'estimait pas assez pour s'excuser, pourtant les mots manquèrent de sortir. Du moins, avant que les mains qui avaient peut-être parcouru le corps de Manoé ne prennent brutalement possession de son visage délicat. La jolie brune ne put s'empêcher de tressaillir à ce contact et certainement pas parce qu'elle l'appréciait : cette proximité dégradante la répugnait. Ses yeux furibonds lançant des éclairs, elle le laissa la menacer sans rétorquer (ce qui aurait été délicat, vu la pression exercée sur sa mâchoire) et se contenta de s'écarter dès lors qu'il la relâcha. Le visage de Bethany semblait beaucoup plus fermé, lui aussi et le regard qu'elle portait sur Enzo venait d'atteindre un nouveau stade de mépris.Et celui-ci était bien palpable : « Tu es pitoyable Enzo. Et pire encore, tu as tort sur toute la ligne. Débauche chacune de mes soeurs si tu le souhaites, ça n'anéantira pas ma réputation. Bien au contraire, ça ne fera que renforcer le piédestal sur lequel on m'a hissée. Comment crois-tu que le Bureau me considérera face à toutes ces autres filles déviantes, incapables de tenir leur rang ? Comme une sainte. » Elle s'était exprimée d'un ton étrangement calme et d'une voix neutre. Elle avait raison sur toute la ligne. Enzo ne l'atteindrait pas, elle était infaillible. Certes, qu'il s'attaque à ses soeurs qu'elle se donnait pour but de protéger lui ferait de la peine, c'était évident. Mais aussi cruel soit cette pensée, les soeurs étaient remplaçables. Les filles se damnaient pour appartenir à la sororité la plus populaire du campus et il était aisé de se débarrasser de celles qui amenaient les scandales. Sa réputation à elle était immaculée et Enzo ne pouvait rien contre ça. Il pouvait bien faire parler Elliott, les deux sortaient plus ou moins ensemble depuis toujours et ses parents avaient beau être intransigeants, ils n'étaient pas catholiques intégristes et au contraire, très heureux de les voir si proches. « Je ne joue pas. Contrairement à toi, le malheur des autres ne m'apporte aucune satisfaction. Et je souhaite sincèrement qu'un jour tu comprennes que ce n'est pas en détruisant la vie d'autrui que tu rendras la tienne moins misérable. » Les yeux de la brunette étaient profondément ancrés dans ceux d'Enzo. Elle l'avait assez connu pour se permettre l'analyse. Bethany n'avait aucune envie de jouer avec lui parce qu'ils n'évoluaient pas dans la même catégorie : il ne vivait que de coups bas et manipulations. Elle, non. Tandis qu'elle lui arrachait la pomme des mains d'un geste agile, elle ajouta, sans un sourire : « Maintenant que tu as fini ta petite manigance, tu peux disposer. » Bethany n'avait pas envie de cette joute verbale avec Enzo. Elle ne ressentait aucun besoin de le détruire pour exister et, au contraire, n'aspirait qu'à oublier son existence.

L'attitude adoptée par Bethany était toute aussi pathétique que normale finalement. En façade, elle montrait une confiance en elle et en ses soeurs inébranlable. Elle remettait en cause la parole d'Enzo, et faisait mine de ne pas être touchée par les nombreux pics lancés par Reed. Mais en creusant un peu, l'italien voyait très bien qu'il faisait face à une présidente dépassée, et en colère. En somme, il avait atteint son objectif initial : à savoir titiller son adversaire. La querelle était bien parti pour rester sur des bases plus ou moins saines. Mais Bethany avait réellement déclaré la guerre en évoquant le sujet à ne surtout pas évoquer. Si elle était au courant de cette histoire, c'est bien parcequ'il fut un temps où Enzo et Bethany étaient très amis. Mais comme le montrait cette conversation animée, cette amitié semblait bien loin derrière. Vraiment loin. La jeune femme avait mal pris la menace de Reed, c'était d'ailleurs tout à fait normal. Mais son discours fut finalement ridicule et facilement démontable, ce que ne se gêna pas de faire l'italien. « Mille excuse, tu as raison. Tu seras en effet vue comme une sainte. Une sainte qui ne sait pas tenir ses troupes, qui n'a aucun respect, aucune autorité. Bravo, tu n'en tireras que du positif c'est maintenant flagrant à mes yeux. » Il savait qu'il avait entièrement raison sur ce point c'est la raison pour laquelle il arbora un grand sourire aussi faux que moqueur. Nénamoins Bethany marqua ensuite un point. La vie d'Enzo n'était pas très jolie, et il compensait clairement en tentant de s'amuser avec celles des autres. Il ne niait pas ça, il avait au moins la franchise de l'admettre. Il ne se cherchait pas de fausses excuses, il y avait certes des raisons à cela, mais s'il voulait changer il le ferait. Or la volonté n'était absolument pas là. Il ne répondit donc pas à Bethany, la laissant croire ce qu'elle voulait sur le jeune homme. Elle lui prit sa pomme, avant de l'inviter gentiment à quitter les lieux. Retrouvant à présent tout son calme et sa nature joueuse et perverse, il se leva, et s'approcha un peu plus de Bethany. Tout sourire il chuchota se voulant sensuel : « J'ai peut être une épathite, avec un peu de chance il restait de ma salive sur cette pomme. » Il eut un léger rire et mit son jean qu'il avait laissé trainé dans la cuisine la veille, lieu des préliminaires avec Manoé.