Kenneth avait réservé le complexe sportif pour une assemblée générale particulière. Elle avait évidemment convié tous les membres de l’Anti-Greek Life mais chacun des étudiants étaient libres d’y assister, par simple curiosité ou seulement pour voir une Reine tomber. D’ailleurs à coup sûr Enzo Reed n’aurait raté cette réunion pour rien au monde. Elle testa le micro en le tapotant doucement avant de se lancer avec une assurance déconcertante :

« J’ai créé l’Anti-Greek Life il y a deux ans dans le but d’assouvir une vengeance personnelle contre les Confréries. Puis, ensemble nous avons essayé d’apporter un message de tolérance sur le campus en luttant contre ce système discriminatoire. J’ai cru pouvoir améliorer les choses, je me mentais d’abord à moi-même avant de vous promettre l’impossible. Qu’ai-je accompli jusqu’ici ? Absolument rien. Je n’ai même pas été capable de faire tomber un président homophobe. Les secrets des confréries ont pris la vie d’Ashleigh, qui sera le prochain ? Combien de corps faudra-t-il enterrer ? C’est la nature humaine, l’Homme ne se remet en question qu’au lendemain d’une tragique catastrophe. Quel sera le prix de cette prise de conscience ? »

La jolie blonde marqua volontairement une courte pause dans son discours, elle était particulièrement à l’aise pour s’exprimer devant un public aussi nombreux et n’avait aucune difficulté à attirer l’attention de son auditoire.
« Tous ceux qui croyaient en moi se sont trompés, mon combat était perdu d’avance. Je refuse d’utiliser le meurtre d’Ashleigh pour imposer mes opinions à l’Université. Avant de clôturer cette assemblée, je me permets de vous donner un dernier conseil ; vous n’avez besoin de personne pour défendre vos valeurs et exister. Ne prétendez jamais être quelqu’un d’autre pour plaire. L’Anti-Greek Life est maintenant officiellement dissolu. Je ne réponds pas aux questions, ce n’est pas une conférence de presse. Ma décision est irrévocable, bonne soirée. »

La demoiselle descendit gracieusement de l’estrade pour se diriger immédiatement vers la sortie du gymnase où son chauffeur l’attendait patiemment. Elle voulait fuir l’assemblée sans donner davantage d’explications, notamment à Adam. En effet, elle avait pris la décision de dissoudre l’AGL sans même le consulter. Elle s’était investie corps et âme dans cette association. Avouer publiquement sa défaite était suffisamment éprouvant, ainsi elle préférait ne pas s’étaler sur le sujet et faire profil bas le temps de regonfler son ego brisé.

Une fois à l’extérieur, Rylee s’apprêta à monter dans le véhicule lorsqu’une brunette l’interpella. Intriguée, Kenneth se retourna pour dévisager la mystérieuse inconnue, celle-ci n’avait jamais appartenu à l’AGL.
« Tu as deux minutes, je t’écoute. » Déclara-t-elle peu avenante, en indiquant poliment à son chauffeur de remonter dans la Mercedes.

La main distraitement posée sous son menton, Lynn était assise parmi tant d'autres, se fondant dans la masse, comme à son habitude en réalité. Elle ne savait pas réellement pourquoi elle était venue à ce meeting de l'AGL, mais elle était bel et bien là. Sans doute que la mort dernière d'Ashleigh y était pour quelque chose. Ne vous détrompez-pas, la Solitaire avait toujours eu en horreur le système de confréries, mais dans sa haine, elle n'est habituellement pas vindicative. Et pour elle, être le mouton d'une sororité ou d'un autre groupe tel que l'AGL revenait au même. Lynn était trop peu sociable pour cautionner n'importe quel type d'union. Depuis son plus jeune âge, elle était plutôt partisane du « Chacun pour soi », la seule exception jusqu'à présent avait revêtu les traits d'Ashleigh Howard et voilà que désormais, elle se retrouvait de nouveau seule.
Ce n'était cependant pas pour lui déplaire, elle aimait à évoluer de manière indifférente au milieu des étudiants populaires, prêts à toutes les bassesses pour quelques points d'évolution. C'est même avec sarcasme et parfois même cynisme qu'elle se plaisait à observer la Comédie humaine de la Michigan Valley University. Mais maintenant, elle était persuadée que tout ce système archaïque de castes et autres organisations rivales avaient causé la perte de celle qui fût sa meilleure amie. La mort d'Ashleigh n'avait été qu'un prétexte pour détester encore un peu plus le système mis en place.

Elle n'en était pas encore au point de rejoindre les rangs de l'AGL, mais en tout cas, elle avait décidé d'assister à cette réunion pour observer les événements de plus près. C'est avec distance qu'elle vit Rylee faire son entrée. Rylee Kenneth, tout le monde la connaissait, même elle. C'était l'étudiante présidente de l'Anti Greek Life, la figure emblématique du mouvement, une âme naturelle de leader et un charisme à toute épreuve faisait d'elle contre toute attente une des étudiantes les plus populaires alors qu'elle dénonçait tout bonnement le système mis en place. Celle-ci comme à son habitude semblait assurée et décidée, et ce fût donc avec un étonnement tout naturel que Lynn accueillit le discours de la belle brindille. On pouvait dire qu'elle ne s'attendait pas à cela, dissoudre l'AGL alors qu'elle pouvait avoir plus de force que jamais, non, il n'y avait rien à faire elle ne comprenait pas ce choix. Le discours avait été rapide, clair, net et implacable, sans retour en arrière possible, au sens figuré et au sens propre si on observait tel Lynn d'un air ahurie la fuite en avant de la leader.

Sans même réfléchir,et sans savoir réellement pourquoi, la Brune se décida à rattraper Rylee. Pourtant, elle ne la connaissait pas, et elle n'était aucunement populaire au sein de cette université, son opinion, son jugement revêtait si peu d'importance. Mais elle devait savoir pourquoi. Pour elle, mais pour Ashleigh aussi quelque part. Voir ainsi les derniers remparts de défense s'effondrer la tourmentait, et cette question qui la tenaillait. Pourquoi ?

A présent dehors, elle aperçut la Présidente rejoindre son véhicule. Hors de contrôle, ses lèvres articulèrent distinctement le prénom de la concernée, sans qu'elle ne puisse moduler la force de son timbre qui lui parut légèrement plus autoritaire qu'à l'accoutumée. Ce qui ne parut d'ailleurs pas beaucoup plaire à son interlocutrice qui lui fit tout de même la fleur de lui offrir deux de ses précieuses minutes. Les yeux émeraudes détaillèrent rapidement le visage qui lui faisait face. Maintenant qu'elle l'avait rattrapé, elle devait parler, ou tout du moins l'interroger.« Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait ça ? »Elle restait ainsi la bouche légèrement entrouverte, attendant une réponse, bon il y avait mieux comme réaction et surtout comme premier contact. Pour cela, qu'elle crut bon de se rattraper en s'accrochant aux branches.«  Je veux dire, Ok, je n'ai jamais été une fervente partisane de l'AGL, mais sache que vous faisiez quand même entendre la voix de bon nombres d'étudiants qui n'ont pas la faveur d'une popularité reconnue tout comme moi... Si personne ne parle, alors cela veut dire que quelque part on cautionne ce système plus que stupide d’Élites et de confréries. Maintenant, c'est la porte ouverte à plus de dérives encore, plus de bizutages idiots et de bassesses permises pour accéder au sommet. »

Ses mains s'étaient repliées derrière son dos. Il était facile pour elle de tout remettre en question, elle qui se contentait de rester dans l'ombre attendant patiemment que les choses se passent pour décider de passer à l'action. Le regard vague, sa bouche murmura comme dans le lointain.« Tout ça, ça veut dire qu'Ashleigh est morte pour rien... »

Tenant sa parole, la jeune femme daigna l’écouter d’une oreille attentive sans l’interrompre. Première erreur, la mystérieuse inconnue omit de décliner son identité. Kenneth s’apprêta à l’envoyer paitre jusqu’à ce que son interlocutrice ne mentionne le nom d’Ashleigh. En effet, cette dernière remarque sonnait comme un reproche des plus injustes. Rylee ne pouvait demeurer impassible face à un tel manque de respect. D’un ton particulièrement calme, elle l’invita à s’installer sur la banquette arrière en lui tenant la portière. L’ex présidente pénétra à son tour dans le véhicule, indiquant au chauffeur de se stationner un peu plus loin et de couper la radio. Elle se tourna ensuite vers la brunette, son regard azur était glacial.

« Où étais-tu lorsque Baldwin a banni Elkaïm de sa confrérie à cause de son homosexualité ? Où étais-tu lorsque Reed maltraitait Hawkins ? Où étais-tu lorsqu’Ashleigh a été tuée ? Tu ne t’es jamais souciée de l’AGL auparavant. Aujourd’hui tu débarques et tu oses me demander de continuer ? Tu es lâche. Et tu voudrais que j’utilise Ashleigh pour détruire les Confréries ? Il n’y a aucun profit à tirer d’un meurtre. Je ne suis pas religieuse, je tiens seulement à respecter sa famille et ses proches. De plus elle faisait partie des ΩΦ, son combat n’a jamais été le mien. »

Pour détruire les Confréries, il fallait les battre à leur propre jeu ; or, Rylee s’était promise de ne plus jamais redevenir la garce qu’elle était encore il y a deux ans. Elle pensait avoir définitivement tiré un trait sur les complots alambiqués et tâchait d’admettre tant bien que mal ses erreurs passées. Il semblerait pourtant qu’elle soit contrainte de placer ses bonnes résolutions entre parenthèses…

Elle ajouta d’une sincérité tranchante :
« J’ai été beaucoup trop orgueilleuse de penser pouvoir détrôner les Confréries en respectant les règles. Apprends de mes erreurs ou monte ta propre association et bats-toi contre le système. »
Enfin en guise de conclusion, elle termina par une confidence :
« J’ai peut-être dissolu l’AGL mais je ne compte pas en rester là. Pour obtenir ce qu’on veut dans ce monde, il faut parfois être une véritable garce. »

Avant de lui rétorquer de quelque manière que ce soit, Rylee l'invita à prendre place sur la banquette arrière du véhicule. Docile, Lynn s'exécuta, elle n'avait aucune raison de fuir et il semblait que finalement la conversation durerait un peu plus longtemps que prévu. Intérieurement, une partie d'elle était étonnée d'avoir ainsi tenté l'affront, l'année dernière encore, elle se contentait de rester tranquillement dans son coin, optant pour le repli plutôt que pour le combat. Et voilà qu'elle tendait maintenant la main à la témérité et que son courage se voyait récompensé par une remise en place des plus froides. Néanmoins, Rylee avait raison sur toute la ligne. Elle était restée dans l'ombre tandis que la Leader avait mené tous les combats, il était facile de venir ajouter son grain de sel par la suite, mais seulement un événement d'une grande importance avait bouleversé les idées méticuleusement mises en place dans la tête de Lynn ayant ainsi révélé un profond sentiment de révolte.

« Tu as raison, j'étais lâche ou plutôt indifférente. Toutes ces histoires de Confréries me passaient au dessus de la tête. Je n'ai jamais pu comprendre qu'on sacrifie sa morale ou son orgueil pour appartenir à un groupe, même si c'est pour gravir l'échelle de la réussite. Mais ça a changé pour moi depuis la mort d'Ashleigh. J'étais son amie d'enfance et nous étions en froid, certes, mais pour moi la véritable responsable, ce n'est pas elle, c'est ce putain de système qui est mis en place par quelques obscurs pervers avides de pouvoir. » Ses mains s'étaient jointes lors de son petit laïus, quoiqu'on en dise, les paroles de Rylee l'avaient touché, elle s'efforçait de n'en montrer rien, mais même le marbre le plus froid était capable de fissures, et quelque part elle portait secrètement un poids de culpabilité vis à vis de la mort d'Ashleigh. Ce que lui expliqua ensuite la jeune femme l'intéressa davantage. Elle arrêtait ses activités officielles, mais comptait bien s'y prendre de manière officieuse pour parvenir à son but. «  Je n'ai pas ton charisme, ni même ton envie de lutter au nom d'une association. Une association en remplace une autre et tant qu'on se rassemble au nom d'un diktat, peu importe lequel, ça a plutôt tendance à me faire fuir. Mais comme toi, je ne compte pas laisser les choses en état. Quoiqu'il en soit, je partage tes opinions même si je ne les clame pas sur les toits. Si le système invoque une certaine perversion alors je suis prête aussi à en faire usage. » Par cette simple phrase, elle indiquait à son interlocutrice qu'elle était disposée également à agir pour mener sa propre enquête et pour parvenir à ses fins. Peut-être que leur objectif était différent mais les moyens employés pour y parvenir tendaient finalement à être similaires. Implicitement, elle autorisait Rylee à faire appel à elle, ou bien à la laisser dans son coin, ça lui était égal finalement. Les yeux verts remontant leur observation jusqu'au visage de la jeune femme se plissèrent légèrement marqués par un sourire discret, balbutiant légèrement en prenant conscience de son impolitesse, elle tendit maladroitement sa main vers celle de sa compagnie improvisée. « Pardonne-moi, je ne me suis même pas présentée, je m'appelle Lynn Burns. C'est juste que ton discours m'a tellement surprise, j'en ai oublié les bonnes manières ! » Lynn et les relations sociales, ça n'avait jamais fait bon ménage. Tant pis pour la première impression.

« Non, ce n’est pas de l’indifférence. Tu regrettes le meurtre d’Ashleigh parce qu’elle était ton amie, tu ouvres les yeux uniquement par culpabilité. En plus d’être lâche, tu es égoïste. Tu comptais vraiment te servir de moi pour soulager ta conscience ? Tu te trompes, les véritables responsables sont les gens comme toi ; tu es restée muette alors que ta voix aurait pu être précieuse à l’AGL. Que tu regrettes tes décisions, ou plutôt ton manque de décision, ne te donne pas le droit de me demander de continuer à me battre alors que tu n’as jamais été rien d’autre qu’une spectatrice insipide. Toutes mes condoléances, garde cependant en tête que tu es l’unique coupable, je ne suis pas celle à blâmer parce que tu te réveilles trop tard. Ton silence a tué Ashleigh. »

Comme précédemment, le ton de sa voix demeurait serein mais tranchant. L’ex présidente n’avait pas l’intention d’épargner son interlocutrice. Cette dernière lui avoua finalement être incapable de s’opposer directement aux Confréries au sein de sa propre association. Rylee esquissa un sourire amusé, les deux jeunes femmes étaient d’accord sur ce point. D’ailleurs, peut-être que si les étudiants dans le même cas que la brunette n’avaient pas eu peur de rejoindre l’AGL en temps voulu, les choses auraient pu être différentes.

« Quels que soient tes projets pour te racheter une conduite, je n’ai absolument pas confiance en toi. L’AGL aurait sûrement apprécié tes qualités, néanmoins désormais je fais cavalier seule. Je ne tirerai aucun intérêt à te compter parmi mes alliés et réciproquement. Je suis sans aucun doute l’une des femmes les plus influentes sur le campus, tu ne gagnerais rien à rester dans mon ombre. »
Kenneth faisait évidemment référence à ses nombreux contacts au sein du Conseil d’administration de la MVU, mais également à sa réputation aussi appréciée que controversée. De plus, son nom de famille lié à sa célébrité soigneusement entretenue par les tabloïds locaux lui donnaient un avantage considérable sur ses rivaux.

Miss Burns fit enfin l’effort de se présenter. Rylee répondit par un simple sourire, presque forcé, puis annonça : « Je pense que les deux minutes se sont écoulées. »
A vrai dire, elle était heureuse de l'avoir rencontrée même si elle s’était toutefois sentie obligée de lui faire comprendre qu’elle avait davantage d’expérience. Dorénavant, Lynn réfléchirait à deux fois avant de lui dire ce qu’elle avait à faire.

« Je te parle d'indifférence avant le meurtre d'Ashleigh, pas après, mais oui tu as raison, bien entendu que je me sens coupable. Néanmoins, si Ashleigh s'est éloignée de moi c'est de son plein gré alors n'essaie pas de me faire endosser le mauvais rôle, j'ai été aussi lâche que tu ne viens de l'être en t'attirant le feu des projecteurs par ta décision de dissoudre l'AGL. Je suis peut-être restée muette mais au moins je n'ai pas besoin du regard des autres pour me sentir exister. Tu aurais aussi bien pu faire une annonce écrite ou une simple réunion, mais il a fallu que tu réserves le complexe sportif pour avoir le public que tu es persuadée mériter. Aussi ce que tu peux penser de moi m'est complètement égal, je n'ai jamais été habituée à être valorisée par les autres. Pour vous les étudiants disons populaires, je suis transparente et c'est aussi bien. »

Recoiffant une mèche de cheveu ébène derrière son oreille, son ton était devenu plus froid. Inutile de dire que Rylee avait touché là où ça faisait mal, mais elle n'était pas habituée à ce qu'on la ménage , autant dit l'attitude de défense reprenait vite le dessus. Elle s'était permise de montrer un visage plus humain et avenant à une illustre inconnue, et celle-ci s'était uniquement contentée de la réduire en pièces. Soit. Elle s'en remettrait. Elle se croyait unique et intouchable avec ses contacts de grande importance, après tout elle avait toujours été en lumière et elle n'était pas habituée à l'ombre. Mais qu'elle se détrompe, le projet de Lynn n'avait jamais été de vivre dans la sienne. Rylee ne représentait qu'un moyen parmi tant d'autres, rien de plus. Elle s'était présentée et la jeune femme ne s'était contentée que de lui répondre par un sourire hypocrite. Elle la croyait différente, et finalement elle était pareille à ces étudiantes polies et lisses des sororités. Ou alors elle ne considérait pas Lynn comme digne d'intérêt. Elle commençait à avoir l'habitude d'être laissée de côté. Et sur le dernier point, elle avait raison, mieux valait faire cavalier seul. Elle se contenta de répliquer d'un ton distant. « Comme tu le voudras, me racheter une conduite n'est sans doute pas mon but, il est facile d'interpréter quelques paroles selon ce qu'on a envie d'y voir. Sur ce Bonne Route pour tes nouveaux projets.  » Ne lui adressant pas même un regard supplémentaire, elle s'extirpa rapidement du véhicule avant de fermer la portière d'un coup sec sans pour autant qu'elle ne claque. Haussant d'un air amusé les sourcils, elle se fit la réflexion qu'elle avait perdu son temps et qu'elle avait sans doute fait perdre celui de la Star du soir. Décidément, côtoyer les autres ce n'était pas pour elle. Sortant une cigarette de sa poche, elle la porta à ses lèvres avant d'en inspirer une bouffée toujours pensive, à moitié révoltée et à moitié amusée, recrachant la fumée, elle décida de laisser agoniser ici bas son souffle pour ce soir et tourna finalement les talons.

La brunette se trompait. Rylee avait créé l’Anti-Greek Life et s’était investie pleinement dans son projet. Gagner la considération du Doyen n’avait pas été chose facile. Elle ne pouvait dissoudre son association par un simple mot écrit. Par respect pour ses membres, notamment Adam, elle se devait d’expliquer cette décision en personne. Elle avait délibérément choisi d’exposer sa défaite aux yeux de tous, assumant tant bien que mal son impuissance. Elle considérait cet échec comme une véritable humiliation, voilà pourquoi elle s’était empressée de quitter le complexe sportif. Certes elle savait se donner en spectacle, néanmoins aujourd’hui elle souhaitait simplement disparaître et faire profil bas.

Dans un premier temps, l’ex présidente demeura silencieuse, prenant personnellement les critiques de son interlocutrice. Celle-ci ne manquait pas de panache et décida finalement de sortir du véhicule, visiblement vexée. Kenneth s'adressa alors à son chauffeur :
« Elle a du caractère, j’aime beaucoup. Elle sait que je peux l’écraser du bout du pied et pourtant elle se bat. J’ai toujours aimé qu’on ose s’opposer à moi. Pourquoi faut-il toujours provoquer les gens pour découvrir leur vraie nature ? Rattrape cette garce. »
Ici garce faisait office de compliment. Une fois à sa hauteur, la jolie blonde baissa sa vitre pour interpeller l’étudiante.
Elle ravala son orgueil et déclara :

« Tu n’as aucune idée de ce que j’ai sacrifié pour l’AGL. Je suis peut-être populaire mais quels sont les mots utilisés pour me décrire ? Quand les autres mentionnent mon nom ce n’est jamais très flatteur. Ma meilleure amie est dans une Confrérie. Ma vie amoureuse est inexistante, même quand je voulais coucher avec un garçon je devais le faire en secret pour ne pas nuire à l’AGL en m’affichant avec Jones ou Reed. Il n’y a que les paparazzi pour me valoriser et c’est uniquement parce que je porte un nom célèbre. Alors dis-moi quel aurait été mon intérêt à exposer ma défaite aux yeux de tous ? J’ai essayé d’être courageuse et d’assumer mon échec, ce n’était pas un show mais une humiliation. »

Elle ne cherchait pas attirer une quelconque compassion de la part de Lynn, elle voulait juste lui faire comprendre qu’il ne fallait jamais se fier aux apparences. Rylee n’était pas la femme qu’elle prétendait être.
« J’ai compris, je t’ai blessée tu as essayé de me rendre la pareille. Seulement tu ne sais absolument pas de quoi tu parles. »

Marchant d'un pas décidé, Lynn pensait avoir tiré un trait sur le peu de relations humaines qu'elle s'était accordée pour la journée . Cela la chagrinait parfois de ne pas savoir faire semblant, elle avait pourtant essayé quelques minutes plus tôt, mais la provocation de la Blonde n'avait abouti qu'à la faire sortir de ses gonds et à l'entraîner dans un repli autistique qui devenait caractéristique chez la Solitaire. Plus encore depuis la mort d'Ashleigh. Et pourtant elle s'était promis de faire des efforts pour comprendre la vérité, mais chassez votre vraie nature et elle revient au galop. Sur ce point, elle avait encore des progrès à faire. Ses pensées ne la tourmentèrent pas plus longuement que déjà la lumière des phares vint percer l'obscurité ténébreuse du campus. Le véhicule de Rylee la rattrapait et elle ne daigna pas lancer un regard à la voiture jusqu'à ce qu'elle s'arrête à ses côtés.

Son dernier affront semblait avoir également touché l'ex-présidente d'une manière ou d'une autre puisque celle-ci semblait obligée de se justifier. Intérieurement, Lynn s'en sentit rassurée, apparemment elle n'était pas la seule à cacher quelque chose sous la carapace, car cette dernière année à contempler tous ces étudiants de bonne famille avaient laissé planer le doute chez elle quant à une possible humanité. La plupart du temps, elle avait l'impression de faire face à des jeunes gens lobotomisés voire pire complètement empêtrés dans une sorte de superficialité, ou finalement rien n'était authentique. Elle écoutait ainsi Rylee débiter son petit discours, et malgré un air quelque peu indifférent, elle y prêtait particulièrement attention. Écrasant son mégot agonisant du bout du pied, elle répliqua : «  Tu vis les choses à ta manière et je les interprète comme bon me semble, mais tu n'as pas besoin de te justifier. Te justifier auprès de moi ? Je suis quoi ?» Elle se mit à rire un peu nerveusement avant de reprendre. « Je ne suis rien qu'une étudiante des plus banales, je ne représente strictement rien ici, tu peux continuer ta route tranquille. Ton nom comporte certes des inconvénients mais il te permet tout de même de continuer à exister sur ce campus alors que tu te proclames ouvertement contre les confréries. Moi, je n'ai pas cette chance ou cet inconvénient comme tu voudras, et je suis comme d'autres, je n'appartiens à aucun clan et par conséquent, je n'existe pas. »

Cela pouvait sembler dramatique et exagéré certes, le discours était volontairement incisif et pourtant Lynn n'avait pas tord. L'appartenance à une confrérie vous donnait une légitimité, une identité, le fait d'être hors des cases ne vous isolait qu'un peu plus. Elle avait pourtant espéré exister d'une manière ou d'une autre sans avoir besoin d'appartenir à une de ces sectes. Et s'exposer ouvertement contre le système pouvait même provoquer une certaine mise en danger. Du moins Lynn en était persuadée. Rylee insinua que la Solitaire ne savait pas de quoi elle parlait, son regard croisant de nouveau le sien, elle répliqua un semblant de sourire naissant au coin de sa bouche : « Au moins nous avons quelque chose en commun. »