ELISHA ELLINGTON

A chaque fois que je dois me rendre à l'infirmerie de l'université, ce qui arrive bien plus que je ne le souhaiterai soit dit en passant, j'y vais pour ainsi dire à reculons. Ce qui est assez incommodant, c'est qu'entant que défenseur dans l'équipe de hockey de la MVU, je suis souvent amené à m'y rendre, à moins de préférer passer le reste de ma semaine avec une tête de mort vivant qui s'en ai pris plein la tête. Après avoir eu une époque où je m'étais moi-même obligé à prohiber ce lieu de ma carte géographique personnelle, j'avais fini par me rendre à l'évidence: si je ne voulais pas finir démembré avant mes vingt-cinq ans, il fallait bien que je finisse par passer le fichu pas de la porte d'Elisha. Elisha... A mon humble avis, rien que la sonorité de son nom a l'étrange capacité de pouvoir provoquer des frissons inflexibles, et je suis sûr de ne pas être l'unique mâle à ressentir cette sensation à l'évocation du patronyme de la jeune femme. Cette fois-ci n'échappe bien entendu pas à la règle. J'avance avec une lenteur encore plus accentuée qu'à mon habitude sur les chemins de la MVU, c'est pour dire à quel point je ne suis pas pressé de me rendre à la rencontre de notre charmante infirmière. Cette dernière est une fille sulfureuse, séduisante et même plus que plaisante et bien entendu elle est loin d'ignorer tout le bien que je pense d'elle, ça serait évidemment bien trop facile, la faute d'un malheureux et ancestral incident. Bref. Au bout d'un moment, je finis tout de même par passer le pallier du secrétariat. Je me mordille l'intérieur de la joue, visiblement d'ores et déjà embarrassé à l'idée de me retrouvé en face d'Elisha. Je tape quelques brefs petits coups sur la lourde porte en bois de l'infirmerie et une fois avoir obtenue l'autorisation pour entrer dans la pièce, j'ouvre celle-ci, les yeux rivés sur le carrelage, parce que je me doute que dès qu'elle se rendra compte qu'il s'agit de moi, elle ne pourra s'empêcher d'émettre un léger sourire railleur qui me fera rougir comme jamais à coup sûr. « Mademoiselle Ellington ? » dis-je d'un ton bien trop cérémonieux pour ne serait-ce que sembler naturel aux yeux de mon interlocutrice.

Après avoir broyé sous ses dents la tige d'une sucette, la carnivore s'attaquait maintenant au bout de son crayon, avec la mine des jours longs et fastidieux. Pas vraiment d'étudiants emplis de désespoir, mais un tas de paperasse bien plus effrayant. C'est bien tout ce qu'Elisha détestait. Le revers de la médaille, l'autre côté du métier passionnant d'infirmière scolaire. Humour. Ce n'était pas peste ou choléra, mais bien les deux. Si bien qu'à cette heure de la journée, la demoiselle n'était pas vraiment d'humeur ; fort heureusement la MVU réservait des moments de joie, comme celui qui allait suivre. De brefs bruits contre la porte de l'infirmerie ne suffirent pas à lui faire lever la tête, et c'est dans un tout aussi bref « Entrez » à moitié audible qu'elle accepta cette intrusion, sans quitter des yeux le rapport qui trônait sur son bureau. La voix masculine par contre traça un sourire mutin sur les lèvres de la blonde, qui daigna alors relever lentement ses billes clairs sur la silhouette de Timon. Bien sur, il aurait été des plus responsables et professionnels de faire fit de leur passif et d'oublier les circonstances de leur rencontre. Seulement, Elisha n'était pas encore de cette trempe là. Elle, elle avait juste envie de rire. Et puis, essayer de mettre mal à l'aise ce grand gaillard était on ne peut plus distrayant. Il y a quelques années, elle aurait surement tout fait pour le coincer dans un coin de la demeure des KBO pour un examen détaillé et méticuleux. Aujourd'hui puisque ce droit lui était enlevé, elle en profitait comme elle le pouvait ; c'est ce qu'elle se répétait pour ne pas trop s'en vouloir. Ca avait quelque-chose de rassurant, savoir que l'on était pas tout à fait hors course. Bien trop plaisant pour le laisser s'en sortir. « Monsieur Holbrook, que puis-je faire pour vous ? » Avait-elle glissé de sa voix rauque, tout en délaissant complètement ses activités précédentes. Mains négligemment croisées devant elle, la jeune femme toisait avec une certaine impudence l'homme présent dans la pièce. Analyse brève du cas, ses prunelles traînantes sur la silhouette n'avaient ensuite aucune justification médicale. « Approchez donc, je ne soigne pas encore à distance. » Difficile d'ignorer la pointe d'amusement qui se hissait sur son visage, mine de rien. « Désolée d'avance, il faudra forcément passer par l'épreuve du contact. » Argumenta-t-elle avec malice. Le hockey était définitivement un sport de brute, mais ce genre de situation commençait à lui faire apprécier cette activité, tiens.

Mains faussement posées sur son bureau, au milieu de plusieurs piles de ce que je décrète être de la paperasse administrative, et dos parfaitement calé contre le dossier de sa chaise, Elisha m'apparaît davantage comme une toute autre sorte d'infirmière plutôt que le genre à travailler au sein d'une université telle que la MVU. « Monsieur Holbrook, que puis-je faire pour vous ? » Sa voix rauque n'a pour seul effet que de confirmer mes arrières pensées et diverses théories à propos de la jeune femme, ce qui est plutôt inconvenant quand on y repense. Je lui adresse un faible sourire polie, valable en toute situation et espérant ainsi parvenir à sauver les apparences, ce qui semble pour le moment compromis. Je n'ai pas le temps de trouver mes mots, que déjà elle renchérit, presque mutine: « Approchez donc, je ne soigne pas encore à distance. Désolée d'avance, il faudra forcément passer par l'épreuve du contact. » Un sourire s'esquisse sur mes lèvres, parfaitement conscient de l'aspect amusant que peux prendre la situation, mis à part lorsqu'on se trouve dans mon rôle bien entendu. Obéissant, je fais quelques pas dans la pièce, bien que tout prend soudainement un côté bien trop réaliste à mon goût. Il devient de plus en plus difficile de pouvoir s'échapper du bureau sans heurt, au fur et à mesure que le temps passe. « Ca semble inévitable effectivement. » me permet-je de confirmer avec un nouveau sourire ironique, bien que toujours autant gêné. Mais à ce qu'il parait, l'ironie est un beau moyen d'autodéfense. Je passe ma main dans mes cheveux, pour retirer certaines mèches de cheveux bruns qui se permettent de tomber dans mes yeux, oscillant quant à eux de droite à gauche, ne trouvant aucun endroit respectable où se poser. « Je cumule pour ainsi dire plusieurs déficits médicaux. » dis-je avec un air un brin railleur. Préférant commencer par le moins délicat, je me contente de relever la manche de mon pull en coton gris, laissant dévoiler une plaie pas bien jolie. Une blessure faite sur la glace, datant d'un peu plus d'une semaine qui peine à cicatriser, bien que contrairement à ce que l'on peut penser, ce n'est pas elle qui m'a poussé à me présenter à la porte de l'infirmerie en premier lieu. Nichée au milieu d'un hématome aux couleurs quelques peu durement identifiable, ce n'est clairement pas le genre de chose qui est agréable aux yeux, si bien que je félicite le créateur du principe des pulls aux manches dites "trois-quart", qui est parfaitement utile pour dissimuler des abominations telles que celles-ci quand le temps est plaisant.