à ta santé frangin !

Je ne courais pas après les bars, les pubs et les sorties. J'étais plus du genre casanier que fêtard et fallait vous avouer que je préférais nettement les douces effluves veloutées d'un bon vieux bouquin à celles provoquées par l'alcool et la fumette. Néanmoins, j'avais reçu plus tôt dans l'après midi un message qui me rendait perplexe. Un SMS de la part de Clarence qui m'invitait tout simplement à le rejoindre ici, au Oz. Bien que je ne sois pas un grand habitué de l'endroit, je savais néanmoins où il se situait. Ce que je n'arrivais pas à comprendre, c'était pourquoi un mec que j'avais de la peine à supporter et qui ne m'appréciait pas vraiment voulait absolument que je le rejoigne ici, un soir de semaine. Piqué par la curiosité, je n'avais pas eu le courage de lui refuser cet entretien. C'est pourquoi, ce soir-là, j'enfilai une veste suffisamment chaude vu la saison et un bonnet pour couvrir mes oreilles et les protéger du froid. C'est pourquoi, ce soir-là, je pris un bus jusqu'au Oz et c'est aussi la raison pour laquelle je me retrouvai au bar, seul, comme un crétin, à attendre un mec avec qui je ne m'entendais pas du tout. La vie avait parfois de ces drôles d'envies ! J'étais néanmoins impatient de savoir ce que pouvait me vouloir Clarence. Peut-être n'avait-il pas eu le temps de se défouler sur un étudiant de première année aujourd'hui, peut-être voulait-il seulement m'emmerder un peu...

Clarence regrettait déjà son texto. L'ennui ou un sous-entendu, il ne savait quelle raison avait réellement motivé l'envoi de ce message pour le peu incongru. Il venait de donner rendez-vous à Cameron Mitchell, le garçon discret un peu intello sur les bords qui préférait passer son nez dans les livres plutôt qu'avec ses frères Sigma Tau Iota. Depuis leur première rencontre maintenant floue, Clay avait bousculé et raillé son camarade toute la journée, se jouant gentiment de sa gentillesse. Si la confrérie n'acceptait que les meilleurs éléments, il devait bien y avoir une raison pour que ce jeune homme placide ait eu sa place. Néanmoins, sous l'effet de l'alcool probablement, Clay lui avait promis que tôt ou tard il le sortirait de son cocon pour faire de lui un vrai étudiant qui s'assumait. Depuis, la promesse était un peu tombée à l'eau, il fallait croire que cette soirée-là avait signé un retour certain. Assis sur le rebord de sa fenêtre, les pieds dans le vide, il l'avait vu quelques heures plus tôt rentrer dans le grand pavillon. Depuis plus rien jusqu'à ce SMS. Au fur et à mesure que l'heure approchait, Clay comprenait de moins en moins son geste et doutait de plus en plus de la présence de Cameron à l'Oz, point du rendez-vous et grand QG des étudiants fêtards. Il n'avait rien à perdre après tout. C'est donc sans grande conviction que Clarence finit par rentrer dans sa chambre, attraper sa veste et sortit pour se diriger vers Violet Street.

Quand Clarence pénétra enfin dans l'Oz, il chercha du coin de l'oeil une tignasse brune. Et enfin il le trouva là, assis dans son coin, un peu dépité de se retrouver ici sans savoir pourquoi. Au moins ils étaient deux dans l'histoire. Fourrant ses mains dans ses poches, il inspira un grand coup. Il ne voulait pas perdre la face maintenant, après tout n'était-il pas de ce qu'on appelle un « frère » dans le langage étudiant ? Cameron recelait peut-être de surprises derrière ce visage agaçant d'ange... S'approchant de lui, il s'assit à ses côtés sans même daigner lui dire bonsoir. Il commanda un whisky au barman qui ne prit pas la peine de demander son âge : s'il n'était pas un habitué, la présence de Clarence avait toujours été bizarrement remarquée... Quand il reçut enfin sa boisson, il avala une petite gorgée avant d'enfin porter son attention sur son voisin. Au vu de la mine déconcerté de Cameron, il ne put s'empêcher d'esquisser un petit sourire : « Si je te dis que j'étais drogué lors de l'envoi de ce SMS, tu ne me croiras pas alors je me contenterai de te dire bonsoir comme si tout ça était normal. » Il avala une autre gorgée calmement, priant les dieux pour que Cameron ne décide pas de quitter toute cette mascarade. Se retrouver seul dans ce repère à losers était la dernière chose dont il avait besoin.

Le simple fait d'être venu ici me dépassait complètement. J'avais été assez bête de croire que Clarence pouvait vouloir simplement enterrer la hache de guerre et profiter d'un bon verre de tequila pour me laisser une chance d'être enfin considéré, à ses yeux, comme l'un des siens. Nous partagions la même fraternité depuis la reprise des cours et j'avais l'impression que, de son point de vue, la place que j'occupais n'était pas méritée. Pourtant, ça n'avait pas été mon choix que d'intégrer les Sigma, mais celui d'Eliott que de venir me chercher. S'il avait réussi à me convaincre, c'était principalement parce que je souffrais d'un syndrome grave de timidité maladive qui m'empêchait d'aller vers les autres et qui me forçait à ne rester qu'un "intellectuel marginal". La seule raison pour laquelle je m'étais, à l'époque, laisser entraîner dans ces histoires de bizutages et de "concours d'entrée", c'était justement pour rencontrer du monde et devenir quelqu'un sur le campus. Malheureusement, j'avais l'impression qu'aux yeux de mon camarade de classe, je n'étais pas un Sigma à part entière. J'avais eu droit à des remarques, j'avais eu droit à des coups de pieds au cul, Clarence ne manquait pas d'imagination lorsqu'il s'agissait de me faire comprendre que je n'étais tout simplement pas à ma place parmi eux. Moi, je n'avais aucun répondant, alors plutôt que de m'amuser à rentrer dans son jeu et à chercher à lui prouver quoi que ce soit, j'accusais le coup sans broncher. Je ne comptais pas me laisser prendre à ce genre d'imbécilité, d'autant plus que j'avais un diplôme à obtenir. Allez savoir pourquoi j'avais enfilé cette veste, pourquoi j'avais pris ce bus et surtout pourquoi j'étais entré dans ce bar, un lieu dans lequel je n'avais encore jamais mis les pieds. Et surtout, allez savoir pourquoi j'avais attendu patiemment que Clarence se pointe et qu'il me rejoigne. Car lorsque ce fut le cas, je regrettai aussitôt tout ce que je venais de faire. L'observant sans grande attention, il ne me salua pas, il se contenta de s'installer en face de moi, de commander de quoi boire et attendre qu'on le serve. Un blanc, un silence, pesant, lourd et franchement insupportable. Lorsqu'enfin il put boire une gorgée de ce qu'il avait commandé, il se daigna à m'adresser la parole. Et la première pique fusa. Je soupirai, secouant mon visage en riant bêtement. J'avais été stupide de croire que cette soirée était l'occasion pour nous de mettre de côté nos différents et de chercher à construire une quelconque amitié ! Plongeant mes yeux dans les siens, agacé, et fatigué, je ne manquai pas de piquant pour lui répondre... c'était bien une première fois. « Et si tu allais droit au but plutôt que de te perdre dans ces formalités. Mon temps est précieux, j'ai des révisions qui m'attendent. » A la longue, je ne savais même plus si cette image d'intellectuel sympa que je cherchais à véhiculer était la vérité ou juste un moyen comme un autre d'éviter les emmerdes...

Cameron l'observait d'un œil perplexe. Etait-il si surpris qu'un membre de sa confrérie puisse l'inviter à partager un verre en dehors des cours et en dehors de la vie fraternelle ? Clarence n'avait jamais porté réelle attention mais se pouvait-il qu'il demeure aussi solitaire qu'il le pensait ? Passait-il vraiment des heures entières à la bibliothèque à se préparer pour de futurs examens ? Malgré la réticence qu'il portait à l'égard des gens trop effacés et trop discrets, il n'avait jamais commis l'affront de demander à Baldwin la raison de l'entrée de Mitchell parmi les siens. Les décisions de son président ne le regardaient pas et pour être franc, les relations entre les deux jeunes hommes étaient pour le moins tendues maintenant pour ne pas dire inexistantes. Clay ne tenait pas à l'approcher pour ne pas risquer de provoquer à nouveau une dispute qui éveillerait les curiosités : cette histoire ne regardait qu'eux. Enfin Cameron ouvrit la bouche et on peut dire que les paroles qui en sortirent n'étaient pas des plus aimables. Agréablement surpris par cette farouche réaction, Clay posa son verre pour se pencher un peu sur lui pour prendre le temps de déceler chacun de ses mouvements. Étonnant, il ne lui connaissait pas cette répartie. « Je vois que tu as du répondant ce soir. Te sens-tu déjà stressé pour les futurs examens ? Parce que rassure-toi, tu as encore quelques mois devant toi ! » Une légère raillerie qu'il n'avait pu retenir. S'il se rebellait face à lui tant mieux, ça n'ajouterait que du piquant dans la conversation. Et pour stimuler tout ce qui était enfoui en ce garçon studieux, il avait la meilleure recette : « Hep. Un whisky aussi pour le jeune homme s'il te plait. » Bientôt la boisson fut posée devant Cameron. Certainement n'était-il pas du genre à boire, pour ne pas risquer de rater le réveil le lendemain. Mais ce soir était un autre soir, il était bien décidé à gratter la couche du jeune homme pour y découvrir quelque chose d'intéressant.

« Ca ne te fera pas de mal tiens. » Clay leva son propre verre comme pour trinquer puis il avala une gorgée de l'alcool qui lui brûla légèrement le gosier. Il adorait cette sensation, quand bien même il était loin du grand buveur, même les week-end. « Je n'ai aucun but ici Cameron sauf celui de te sortir enfin le nez d'tes pages poussiéreuses. En tant que Sigma Tau Iota, tu te dois de savoir t'oublier un peu. Et par chance tu as croisé ma route. » Ok, Clarence avait un peu forcé le destin en l'invitant de lui-même. De plus, il n'était certainement pas le compagnon de soirée rêvé par tout le monde, même par ses propres camarades. Mais en tant que deux solitaires, ne pouvaient-ils pas se réunir le temps d'un verre ? Si Cameron était flatté de son appartenance à la confrérie prestigieuse, il n'était pas en mesure de refuser. « Alors, tu acceptes la proposition ? Tes livres ne s'envoleront pas d'ici que tu regagnes ta chambre. »

Clarence était à l'opposé même des amis que je pouvais avoir. Insolant, puéril aussi, parfois hautain, mais surtout provocateur à souhait. Le genre de fréquentations que j'évitais généralement et pourtant... là j'avais sauté dans la gueule du loup de manière si naïve que je m'en étonnais moi-même. Après sa première réplique, j'aurai dû me contenter de me lever, de lui balancer simplement un va te faire voir bien mérité et rentrer me coucher. Même si je n'avais rien à réviser, j'aurai au moins eu la satisfaction de lui avoir dit le fond de ma pensée et d'avoir coupé court à cette bataille perdue d'avance. Pourquoi avais-je eu le culot de lui répondre, pourquoi avais-je eu le culot de rester à ma place et de le fixer ainsi ? Avait-il cru comprendre par là que jedésirais poursuivre cette discussion ? Malheureusement pour moi, fallait-il admettre qu'il avait, très certainement, cru déceler dans ma pique un signe qui lui donne le droit de poursuivre. Du répondant, il en possédait plus que moi, j'en voulais pour preuve chacune de ses paroles qui suivirent les derniers mots que je lui avais lancé un peu au hasard. Il me commanda un whiskey, comme si je comptais rester ici toute la soirée en sa compagnie. Charmant ! Soupirant, je le laissais faire sans répondre, que pouvais-je faire d'autre. Impassible, je laissais couler, je laissais le serveur m'amener la boisson alcoolisée, boisson que j'évitais généralement de boire. Mais pour supporter Clarence, il me faudrait certainement faire cette croix sur mes convictions... Lorsqu'il me tendis le verre, j'esquissai un faible sourire, histoire d'entrer dans son jeu, et n'hésitai pas à porter le verre à mes lèvres. Embrassant d'abord ce liquide brûlant, je le laissai ensuite couler dans ma bouche, puis dans ma gorge, tout en me délectant de sa saveur amère et chaude, brûlante même. Et puis, je déposai à nouveau le verre sur la table, fixant Clarence dans les yeux. « Tu parles d'une chance, ouais ! » murmurais-je lorsqu'il s'extasia de cette sois-disante chance que j'avais de l'avoir rencontré. « Je te rappelle que c'est quand même toi qui m'a invité à venir ici... » lui répondis-je sur un ton tout aussi amère que le whiskey que j'avais bu quelques secondes auparavant. Fatigué avant même d'avoir commencé cette "guerre", je soupirai à nouveau. Clarence reprit la parole. C'était une proposition. J'avais la chance de pouvoir partir, maintenant, si je le désirais. Mais quelque part, cette situation m'amusait un peu. Je le jaugeais, qu'est-ce qui m'attendait ? J'en savais rien mais sortir de ma routine ne pourrait en effet que me faire du bien. Quoi que ! Alors, je repris le verre, je le descendis d'une traite, laissant l'alcool venir frapper mes tempes, réveillant mes instincts les plus enfouis. J'étais jeune, j'étais un mec, c'était sensé être une chose naturelle que de boire et plaisanter, que de m'amuser un peu... Pourtant, je n'y arrivais que très rarement. « Hep garçon, une deuxième tournée de whiskey, et doublez la dose... j'ai à peine eu le temps de réaliser que je buvais de l'alcool la première fois. » lançais-je au premier serveur avant de replonger mes yeux dans ceux de Clarence. « Je t'écoute Clarence. C'est quoi l'programme de la soirée ? » Je glissais sur une pente descendante, ça ne faisait aucun doute !

Clarence observa en silence Cameron tremper ses lèvres dans le whisky qu'il lui avait apporté plus tôt. Il ne semblait pas surpris de son goût si particulier, Cameron cachait-il une adoration secrète pour cet alcool fort ? Nul doute que ça ne l'aidait pas forcément dans son studieux quotidien mais personne n'était à l'abri d'une surprise... Il prit même plaisir à lui rappeler qu'il n'était pas venu ici de lui-même et qu'il avait simplement répondu à sa propre invitation. Arborant un sourire vaincu, Clay ne se laissa pas démonter pour autant : « Crois-moi dans quelques heures tu ne le regretteras pas. Ce ne sont pas une promesse mais une certitude. » Malgré le ton amer de Cameron, il n'en perdait pas son assurance et sa détermination légendaires. Ce dernier semblait toujours sur sa réserve, comme s'il redoutait qu'il ne s'attaque à lui. Il est vrai que parmi les rares conflits qui avaient éclaté au sein de la confrérie même, Clay avait participé à quelques-uns d'entre elles, ne pouvant retenir sa verve critique et spontanée. Néanmoins il ne comptait pas se moquer de Cameron ce soir – dans la mesure du possible, on ne changeait pas un homme comme ça. Il était son invité... Et un invité assoiffé semble-t-il. A peine eut-il le temps de réaliser que son accolyte avait avalé d'une traite son verre avant d'en réclamer un deuxième, plus fort cette fois-ci. Il prit un air faussement consterné avant de s'exclamer : « Je vois que tu as de l'énergie à revendre ce soir ! » Et à son tour, il l'imita et vida son verre d'une gorgée avant d'en commander un autre. Les effluves alcoolisés lui tournaient lentement la tête mais il s'en moquait, c'était une soirée spéciale pour Cameron et particulière pour lui-même.

Quand le brun réclama le programme de la soirée, il tapa du poing, triomphant : « Déjà tu vas commencer par m'appeler Clay parce que je ne supporterai pas longtemps cette politesse formelle. » Dit-il d'un ton à la fois menaçant et sérieux. « Ensuite, le programme consistera en tout ce que tu n'as pas l'habitude de faire. Au vu de tes yeux brillants, boire n'est pas dans tes cordes. » Ils reçurent leur deuxième tournée et Clay se saisit du verre par en haut pour le faire légèrement remuer, dans un bruit de glaçons. C'était lors de sa jeunesse qu'il avait pratiqué toutes sortes d'expériences, des plus basiques d'adolescents aux plus tordues dont il ne souhaitait garder le souvenir. Cameron avait-il déjà vécu ça ou s'était-il déjà créé sa sphère depuis longtemps ? « Alors tu prends les commandes. Les Sigma Tau Iota sont réputés pour être les plus redoutables, on va voir ce que tu as dans le ventre Mitchell. » La mine déconfite lui provoqua son premier rire franc de la journée. « T'es pas habitué hein ? »

Je ne pouvais pas être plus mal à l'aise qu'en ce moment. J'étais tout bonnement en train de boire de l'alcool en compagnie d'un mec que je ne supportais pas vraiment et avec qui je n'avais jamais eu d'autres occasions que de me prendre la tête. C'était tout simplement "pas moi" et j'avais de la peine à comprendre pourquoi je m'entêtais à rester là. Pire encore, j'avais commandé une deuxième tournée. Et même s'il avait beau me promettre que je ne regretterais pas d'être resté, je ne pouvais m'empêcher de penser que je commettais là une énorme erreur. Pourquoi m'avait-il invité ? Pourquoi tenait-il à ce que je reste et surtout pourquoi me provoquait-il de manière aussi gratuite et directe ? Les yeux dans les yeux, je vidais mon premier verre d'une traite, je n'avais pas envie d'être le garçon toujours trop gentil qu'on m'imaginait être et, ce soir, j'avais envie de prouver une bonne fois pour toute à cet imbécile de Clarence que, moi aussi, je savais m'amuser quand il le fallait. Même si bien souvent, je sacrifiais de belles soirées au détriment de mes études, ce qui, en mon sens, était bien plus important et plus responsable... du moins, c'est ce qu'on m'avait toujours appris. Lorsque j'osais lui demander le programme de la soirée, après avoir commandé malgré moi une seconde tournée, Clarence me répondit d'un ton assez désinvolte mais qui correspondait en tout point à l'image que je me faisais déjà de lui. Convaincu que la soirée allait mal se terminer, je préférais être bourré plutôt que sobre, ainsi, j'aurai au moins une bonne excuse le lendemain lorsqu'on me reprocherait mes actes. Et puis, pour supporter "Clay'", puisqu'il voulait que je l'appelle comme ça, il me fallait avoir perdu tous mes sens communs et être complètement stone alors... pourquoi me refuser un écart ce soir ? « Très bien Clay', si c'est c'que tu veux. » Je me montrais froid, distant et hautain, à mon tour. Je ne me connaissais pas sous ce jour là mais fallait-il vous avouer que Clarence avait sur moi l'effet de me rendre une confiance et une assurance que je ne me connaissais pas. Et puis, ça faisait du bien de se montrer parfois intolérable et intransigeant, presque malhonnête et sarcastique. Lorsqu'on m'apportait mon deuxième verre, je l'observai un instant, jouant avec avant de plonger mes yeux dans ceux de Clay. Ce qu'il me dit n'avait pas de sens, De quoi voulait-il que je prenne les commandes ? Il avait le culot de m'inviter ici et ensuite de me demander d'organiser la soirée pour lui, de décider de ce que nous allions faire. Pas croyable, vraiment pas croyable. Sans attendre, j'avalais mon second verre cul-sec, à quoi bon chercher à rester sobre plus longtemps. La gorge brûlée, j'avalais avec peine, les effluves de l'alcool jouant déjà gracieusement avec mes nerfs et mon aptitude à rester conscient. « Bordel ! » m'exclamais-je en toussant doucement. Non, je n'étais pas un grand habitué de l'alcool fort. Attrapant le premier serveur qui passait par là par la manche, je lui dis sur un ton glacial. « Deux autres whiskey... Et ne lésinez pas sur la dose d'alcool. » Je plongeais à nouveau mes yeux dans ceux de Clay. « T'es franchement gonflé ! » lui dis-je sans y aller par quatre chemins. « Déjà tu m'invites dans cet... endroit ! Et ensuite, t'as l'culot de m'demander de décider à ta place de ce qu'on va faire ce soir ? » J'avais de la peine à rester calme. Enervé ? C'était sûrement la faute de l'alcool qui, déjà, devait me jouer de sales tours. Je savais qu'il fallait que j'arrête ma consommation, mais là... Je ne pouvais pas. « Et non, j'suis pas du tout habitué à boire comme un trou. J'ai bien d'autres centres d'intérêts que celui de consommer suffisamment d'alcool pour tout oublier de mes soirées. »

D'ordinaire, Clarence avait en horreur les personnes colériques et irrespectueuses. Lui qui avait une opinion très tranchée sur sa propre personne, il remettait rapidement en place les personnes qui osaient se montrer insolentes. Or, la nouvelle assurance de Cameron n'était pas pour lui déplaire. Fallait-il vraiment qu'il ait un sacré coup dans le nez pour qu'enfin il daigne retirer ce balai informe de son derrière ? Tout en ingurgitant son whisky, il soutenait son regard presque dans un air de défi. Il ne le craignait pas et continuait de le fixer avec une mine amusée. Ce garçon l'étonnait de minute en minute, peut-être n'était-il pas si inintéressant que ça ? De toute évidence, il mettait tout ça sur le compte de l'alcool et au vu de la détermination de son frère, il ne voulait pas s'arrêter en si bon chemin. Tant qu'il ne finissait pas par devoir le traîner sur son épaule, ivre mort, pour le ramener jusqu'au pavillon des Sigma. Lorsque Cameron s'étouffa de lui-même avec le feu du whisky qui brûlait sa gorge, Clay ne put retenir un rire moqueur. Tout en savourant lentement sa boisson, il haussa un sourcil lorsqu'une nouvelle commande fut effectuée. Avait-il des prédisposition à l'alcoolisme ou quoi ? « Si tu continues comme ça Mitchell, bientôt tu ne pourras plus articuler deux mots. J'espère pour toi que tu n'as pas d'oral pour les prochains jours à venir, le contre-coup risque d'être difficile. » Sa tête était étourdie également mais il parvenait encore à avoir les idées claires. Il se sentait enveloppé d'une chaleur agréable, il se sentait détendu et sociable pour une fois. De bien rares occasions depuis la rentrée et l'effervescence autour de l'affaire de sa feu petite amie. Cameron monta en pression contre lui, s'offusquant qu'il ose lui demander quoi faire. Se penchant sur lui, il ébouriffa ses cheveux comme on le ferait à un enfant : « S'assumer Cameron. Il faut savoir prendre les rênes. Ce serait trop facile que je fasse le chef de soirée et qu'en tant qu'apprenti, je t'inculque les règles pour t'amuser. »

Clay reprit place sur son tabouret puis parcourut la salle du regard. Il n'y avait guère d'opportunités intéressantes ce soir-là. Il déplorait le manque de jeunes filles en fleur, prêtes à flirter pour un soir du moment qu'on dégainait le porte-feuille. Il s'amusait bien souvent à jouer le gentleman avant de les laisser seules sur le trottoir au moment fatidique du retour dans la chambre. « Allons, tu vas pas me dire que tu n'as réellement de yeux que pour les bouquins et les formules. Encore la bibliothécaire serait affriolante, je ne dis pas, mais elle est la vulgarité même. » Entamant un nouveau verre qu'on avait posé devant eux, le jeune homme s'accouda au comptoir et pointa du doigt une jeune étudiante qui tentait tant bien que mal de finir son livre dans son coin. Grave erreur que d'être entrée ici en espérant avoir un peu de calme. « C'est une jolie intello qu'il te faut comme ça. Si tu n'as pas de but autre que de boire comme un trou, je vais t'en donner un autre. » Face à ce revirement de situation, Clay ne perdit pas la face contrairement à l'apparente surprise de Cameron. Il avait bien sûr d'autres idées en tête mais avant, il voulait avoir confirmation. Il avait toujours été perspicace mais en tant que futur excellent avocat, il pesait le pour et le contre avant d'en faire sa conclusion. Il sauta d'un bond de son siège et enleva le verre de la main de Cameron sans crier gare. S'occupant de le finir d'une traite à sa place, il donna ensuite un léger coup dans les pieds de son tabouret pour le faire bouger. « Allez Mitchell, on va pas continuer à jouer les hypocrites toute la soirée. Je veux être celui qui assistera à ton premier râteau en direct. »

De guerre lasse, j'avais finalement décidé de rester et puis, l'attrait affriolant de l'alcool ne pouvait que me donner une raison supplémentaire de ne pas décoller mes fesses du tabouret sur lequel j'avais pris place. Etait-ce plus pour voir où Clay comptait m'emmener ou pour boire que je restais ? C'était une question à cent points à laquelle je ne tarderais pas à trouver une réponse. Toujours était-il que plus les secondes passaient et plus je me sentais perdre pied. Quoi qu'encore pleinement conscient de mes actes, je me sentais brusquement de bien meilleure humeur, prêt à supporter tout et n'importe quoi... surtout Clay ! Croyez-le, il fallait une bonne dose de courage pour s'acclimater à pareil énergumène. Je comptais boire, plus par dépit que par envie mais je comptais boire. Quitte à passer une soirée en compagnie d'un confrère que je n'appréciais qu'à faible dose, je joindrais l'utile à l'agréable. Et puis, au fil des verres, Clay' me paraissait de moins en moins insupportable et de plus en plus sympathique. Il me fit une remarque sur ma façon de boire, je rétorquais par un grognement assez peu commun. L'esprit déjà embrumé, je me contentais de lui répondre. « Même ivre mort, mes notes seront supérieures au tienne McPersonne ! » J'avais prononcé son nom de famille de manière incompréhensible. Si j'avais fait exprès ? Je n'en étais même pas sûr. Les mots s'échappaient de ma bouche sans même que je puisse les retenir. Je parlais avec une telle franchise que j'en avais presque peur, si je n'étais pas autant impressioné. L'alcool avait un drôle d'effet sur moi et mon organisme, Clay l'avait remarqué. Il se pencha sur la table et m'ébouriffa les cheveux. Me reculant doucement, je plantai mes yeux dans les siens. Je ne m'assumais pas, et alors. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire. « Je sais parfaitement m'amuser... Enfin, pas de la même façon que toi, sûrement, mais je sais. » Qui est-ce que j'essayais de convaincre, lui ou moi ? Peu importe. Secouant mon visage, j'essayais de garder mes esprits tout en contemplant ce troisième verre qu'on venait de m'apporter. Les glaçons tournoyaient, le liquide était opaque. Je souriais bêtement sans quitter des yeux ma boisson lorsque Clay', brusquement, sauta de son tabouret et m'ota le verre des mains. Surpris, je levais les yeux vers lui. Interdit ! Je le regardai, sans comprendre un traitre mot de ce qu'il racontait jusqu'à ce qu'il m'indique du coin de l'oeil une fille accoudée au bar. M*rde ! Je détournai mes yeux et les plantai à nouveau dans ceux de Clay. « J'ai pas besoin de ça pour m'éclater... Si ça t'amuse de flirter avec tout ce qui porte une mini-jupe et qui a les jambes épilées, vas-y, je te retiens pas. C'est pas mon truc ! » moi je préfère ce qui porte des jeans et qui ne s'épile pas les jambes aurais-je pu simplement continuer. Néanmoins, il était hors de question que je fasse mon coming-out de la sorte, sous le coup de l'alcool et encore moins face à Clay. Il en tirerait trop de plaisir et certainement un moyen de pression dont il ferait usage pour me faire faire n'importe quoi. Reportant mon visage sur la jeune fille en question, je soupirai. « Et puis, elle a surement mieux à faire que perdre son temps avec un mec à moitié bourré. » Je tournai mon visage verse Clay et tentai de sourire. Si j'étais aussi mal à l'aise, c'était peut-être parce qu'il me plaisait, lui, en fin de compte ? M'otant cette image de ma tête, je me dépêchai d'ajouter sur un ton taquin. « Mais hésite pas, fonce ! Et profites-en pour moi ! »

Cameron se rebellait, Cameron lâchait prise. Plus le temps passait, plus l'alcool avait effet sur sa petite gueule d'étudiant passe-partout. Ses mots prenaient de moins en moins de sens et il écorcha même le nom de famille de Clay en tant de l'envoyer paître, royalement. « Encore heureux que tu ne passes pas un concours d'orthographe, ta verve est de plus en plus limitée, Mitchell. » De plus en plus fier d'être le responsable d'un tel changement de comportement, il souriait franchement depuis de longues minutes. Jamais il ne l'avouerait mais c'était bien la première fois qu'il ne s'ennuyait pas à l'Oz. La première fois qu'il ne voulait pas agresser l'un de ses frères de ses piques désobligeantes tout ça parce qu'on n'avait pas la même spontanéité agaçante que lui. Il ne voulait plus bousculer son camarade parce qu'il le trouvait trop amorphe, trop bonne poire mais simplement parce qu'il aimait la façon avec laquelle Cameron se battait pour défendre son honneur. Car malgré sa discrétion et sa gentillesse, il avait le même ego masculin que tous les mâles ici présent et il s'en défendait d'une façon plutôt amusante. Désormais l'heure était à l'action. Par chance, Clarence avait dégoté la fille parfaite qui lui servirait de cobaye. Qui se ressemble s'assemble. L'érudition n'était-elle pas attirée par la fragilité ? Si tant est que Cameron était ce qu'il prétendait être, qu'il ne cachait rien comme ce caractère susceptible qu'on ne lui connaissait pas, l'affaire était emballée.

Cependant, Clarence eut droit à un refus net et précis. Il s'attendait plutôt à ce qu'il n'enrobe les choses mais maintenant, ça ne faisait plus aucun doute. Ce qui pouvait passer pour de la timidité ou de la pruderie, ça n'en était rien. Jetant un coup d'oeil à la jeune fille, il eut un ricanement et malgré lui, ne put retenir une nouvelle critique qui le démangeait : « Ce que tu prends pour une mini-jupe n'est que le rêve de passer pour une fille facile. Sitôt que tu la cueilles, elle reculera sans hésiter, c'est juste pour se donner un genre. » Autant dire qu'elle n'était pas du tout du goût de Clay qui aimait plutôt les choses caractérielles, qui refusaient et faisaient tourner en bourrique tout en succombant toujours au final. Il aimait avoir du fil à retordre. C'est pourquoi lorsque Cameron céda sa place, il s'exclama : « Tu plaisantes j'espère ! On ne joue pas dans la même cour. » Fallait-il entrer dans le mensonge pour mieux démasquer l'imposteur ? Clarence n'hésita pas longtemps à ce nouveau défi. « Tu gardes ça pour toi mais... » D'un mouvement du menton, il désigna un garçon cette fois-ci aux allures distinguées et visiblement sans complexe. Il se pencha sur l'oreille de Cameron pour lui souffler de son haleine alcoolisée : « Depuis la rentrée, disons que ma came c'est plus ce genre-là. Alors je pense que pour toi ce soir les jambes douces seront plus à ta portée, mon gars. Il ne s'agit pas de conclure mais de s'amuser. » Il sous-entendait clairement que la mort d'Ashleigh l'avait fait quelque peu viré de bord. Évidemment, ça n'était pas vrai : sa dernière expérience homosexuelle lui avait valu une honte intersidérale. Mais ça à la MVU personne n'était au courant, ça remontait loin maintenant. Lui donnant un coup de coude, il l'incita de nouveau. Comment allait-il esquiver la chose cette fois-ci ?

Je n'arrivais pas à réaliser ce que je faisais. Refuser ouvertement de draguer une fille aurait pu être, dans certains cas, vu d'un bon oeil mais par quelqu'un comme Clay, ça allait de toute évidence virer au drame. Il allait être persuadé que j'étais gay et ne se dérangerait pas pour aller le dire à gauche à droite. Ruiner ma réputation d'homme sage et lisse serait pour lui comme une... amère récompense ? Je n'en savais rien. Plus les minutes passaient, moins je comprenais. Pourquoi cherchait-il tant à m'aider ? D'une manière aussi étrange que cela puisse vous paraître, j'avais l'impression que Clay ne cherchait plus à me couler mais à m'apporter son soutien. Certes, ma vision des choses n'était plus très nette et j'aurai facilement accordé des éloges au dernier des imbéciles mais... ça me paraissait étrange de la part de McPherson de chercher à me voir en dehors des cours et de vouloir, à ce point, que je tente le coup avec une fille. C'était déjà bizarre de me retrouver seul avec lui à parler de ça alors croyez-moi, plus les minutes passaient, moins je comprenais ce qui m'arrivait et ce qui allait me tomber dessus. Persuadé que ce non le calmerait, qu'il me balancerait à la poire une insulte homophobe et qu'il quitterait les lieux, je fixai le bar, en attendant. Fort heureusement pour moi, Clay se montra bien plus conciliant... conciliant jusqu'à un tel point que je n'en revenais pas. Il s'approcha de moi et, dans un ton de confidence faussement détaché, il m'annonça de but en blanc qu'il était bien plus attiré par les hommes que par les femmes. Le regard béat, la mine déconfite, je plantai mes yeux dans les siens. Venais-je de vivre un énième fantasme sordide sur ce mec qui me rendait la vie impossible et que je punissais en le violant sauvagement dans les recoins d'un bar mal famé ou était-ce la pure vérité ? Je ne sus pas quoi dire, pendant queqlues instants, je me contentai de le regarder sans broncher... Avalant difficilement, je détournai mes yeux... angoissé à l'idée qu'il puisse penser que cette nouvelle me réjouissait d'une quelconque façon. Et puis, je ne voulais pas qu'il le sache, ni pour moi, ni pour Hassan. Secouant mon visage pour reprendre mes esprits, je plongeai à nouveau mes yeux dans ceux de Clay, le défiant en souriant bêtement. « Tu sais quoi... tu as raison ! On ne vit qu'une fois après tout. » Je commandai un nouveau verre au serveur qui s'empressa de me le donner et l'avalai d'une traite en me relevant sur mes jambes. Manquant de tomber sous l'effet lourd de l'alcool, je pointai mon doigt devant mon nez, sans quitter Clay des yeux. « J'irai draguer cette gonzesse... mais avant ! » J'approchai mon visage de celui de Clay en souriant, bêtement. Il voulait me défier, j'allais faire pareil. « Embrasse-moi McPherson ! » Croisant les bras, je le défiai du regard. S'il était vraiment prêt à voir de quoi j'étais capable, il faudrait d'abord qu'il me montre ce dont il était capable. Et puisque j'avais bu, je n'avais qu'à mettre cette soudaine assurance et bisexualité sur le compte de la boisson, demain.

Les deux jeunes étudiants évoluaient dans le noir, à tâtons, sans même redouter où ça les mènerait. Clarence parlait et agissait comme bon lui semblait, il ne prenait plus la peine de réfléchir. Ses paroles plaisaient tant mieux, elles ne plaisaient pas, tant pis. Jusqu'à présent Cameron s'était rebiffé de passer ne serait-ce qu'une ou deux heures en sa compagnie et voilà que maintenant ils se perdaient tous les deux en des conversations futiles et qui ne ressemblaient ni à l'un ni à l'autre. Quand bien même cette soirée terminait mal, l'alcool avait coulé. Il ne regrettait jamais aucun de ces actes. Plus tard, quand il aurait atteint son objectif de représenter la justice, il allait devoir affronter des situations bien plus compromettantes qu'une nuit étudiante un peu spéciale. Dès son enfance, on avait appris à Clay à dire ce qu'il pensait tout haut, à critiquer comme bon lui semblait, à énerver les gens si toutefois il en ressentait l'envie. On le prenait souvent pour quelqu'un d'associable et de désagréable mais il se sentait juste parfaitement lui et ne se renfermait pas sur lui-même comme certains étudiants mal dans leur peau qui se mentaient à eux-mêmes avant tout. Ne voulait-il pas citer de nom tel que Cameron Mitchell... La soit-disante révélation qu'il venait de lui faire ne manqua pas de le surprendre. Il suffisait d'observer quelques secondes ses yeux pétillants d'ivresse et de consternation. Clay recelait plus de secrets qu'on ne pouvait le croire mais malheureusement pour lui, celui-ci n'était qu'un leurre pour arriver ses fins.

Enfin Cameron se décida. Il se leva non sans vaciller un instant sous le coup de l'étourdissement. Lorsqu'il avala à nouveau un verre de whisky cul sec, Clay se frotta le visage de ses deux mains, peut-être inquiet du contre-coup que l'étudiant allait subir le lendemain de cette petite cuite en bon et dû forme. Il continua de fixer son camarade, les bras croisés, attendant qu'il n'ose esquisser un pas vers l'inconnue qui n'avait rien remarqué de ce manège autour d'elle. Pensait-il réellement à le faire ? Rien que parce qu'il n'assumait pas ce qu'il était. Parce que de toute évidence, si Clarence ne l'était pas, il le jouait bien mieux que celui qui l'était ! Mais contre toute attente, c'est une toute autre demande qu'il dut encaisser. « Hein ? » Fut la seule réaction dont il fut capable pendant quelques secondes. La situation se reconstitua vite et l'air de défi de Cameron comprit immédiatement le jeu qui s'était installé. Lâchant un rire franc, il pointa le doigt vers le garçon. « Tu penses vraiment m'avoir à ce jeu-là. » D'un geste brusque, il empoigna la chemise du garçon et l'attira à l'abri des regards. Il y avait bien trop de curieux et Clay ne tenait pas à ce qu'une nouvelle rumeur ne soit lancée malgré lui. Il en avait déjà assez en ce qui concernait Ashleigh. Considérant Cameron, il eut un moment d'hésitation. Son dernier souvenir de baiser masculin était tout bonnement ridicule, devait-il vraiment pousser le vice ? Priant les dieux de ne pas apprécier, il le plaqua alors contre le mur. « Ce n'est pas après ça que tu auras envie d'aller draguer la minette du fond de la salle. » Il l'embrassa enfin avec toute la persuasion qu'il pouvait mettre. C'était malheureusement ce baiser qui allait confirmer ses doutes et affirmer les préférences trop cachées de Cameron.

Aussitôt l'avais-je demandé, aussitôt le regrettais-je. Envie maquillée par un défi tout ce qu'il y avait de plus stupide. J'en étais réduit à quémander les baisers que je désirais, ceux-là même qui me faisaient vibrer de plaisir. J'en étais réduit à les mendier, parce que j'étais bien trop lâche pour admettre la vérité. Peut-être ne l'étais-je finalement pas, peut-être n'était-ce qu'une lubie passagère ? Mais plus les instants passaient et plus Clay me faisait curieusement envie. Sa désinvolture, sa franchise, sa froideur, son assurance... il était tout ce que je détestais mais aussi tout ce qui me faisait fantasmer. Et le pire dans tout ça, j'étais bien trop ivre pour ne pas laisser parler mon corps. Alors aussitôt avais-je cru avoir l'opportunité de pouvoir le trainer malgré lui dans mes envies sordides, aussitôt j'en avais profité. Quel con ! Si seulement j'avais su. Il ne se débina pas, bien au contraire, il m'attrapa par le t-shirt et me tira avec lui dans un coin assez discret. Ses yeux brillaient, mais c'était loin d'être de l'excitation. Du moins, pas celle que j'osais espérer car moi.. j'étais excité ! Un feu brûlait dans ma gorge, un désir brûlant que je n'avais jamais osé assumer jusqu'à présent. Si je devais un jour raconter à des amis l'instant même où j'ai découvert mon homosexualité, ce serait certainement à cette fichue soirée que je faisais allusion. Je ne le savais pas encore, mais Clay allait me rendre un énorme service. Derrière sa volonté de me faire tomber, de faire voler en éclat mon masque, il avait réussi à déceler en moi quelque chose que, moi-même, je n'avais jamais vu. Alors il m'embrassa, d'une manière peu usuelle. Je le laissais faire. Y répondre ? Je n'en étais pas sûr. Etait-ce une bonne idée que d'avouer mon homosexualité à Clay, était-ce une bonne idée qu'il soit le premier ? Après tout, ne venait-il pas de m'avouer qu'il préférait les hommes depuis quelque temps ? Si seulement j'avais été assez malin ce soir-là pour réaliser que tout n'avait été que foutaises. Je n'aurai sûrement pas réagit de la sorte. Car mes mains, voyez-vous, mes mains... elles remontèrent le long du corps de Clay pour se déposer derrière sa nuque, et ma langue... elle chercha celle de Clay, quant à mes yeux, ils se fermèrent. Et brusquement, exit la nana que je devais brancher, il n'y avait plus que lui et moi, entrain de fondre dans le péché.

En envoyant ce foutu SMS, Clarence ne s'était jamais attendu à ce que la situation vire de la sorte. Quand il était perché sur sa fenêtre et que son regard avait croisé la silhouette de Cameron, sans doute s'était-il dit qu'il pourrait lui apporter quelque chose... A sa façon bien entendu. Il avait simplement prévu une soirée durant laquelle il s'adonnerait à son activité favorite : critiquer sans pour autant le faire de façon aussi virulente. Il avait voulu ménager son frère, pour une fois, il s'était de lui-même engager dans ce jeu dangereux. En l'espace de quelques rencontres et de quelques mots échangés avec lui, Clay avait compris qu'il refoulait un sentiment, une émotion gênante. Cameron était homosexuel ou bisexuel peu importe. Mais quand un étudiant se faisait virer de sa propre confrérie en raison de sa sexualité dérangeante, ça n'était pas étonnant que d'autres le nient, volontairement ou non. Toutes ces histoires n'avaient jamais préoccupé Clay qui était parfaitement certain de ses valeurs et de sa personnalité. Lui-même soutenait Adam, l'exclu, mais pour une toute autre raison qui aujourd'hui lui donnait du fil à retordre. Lui qui avait voulu jouer les grands et les intelligents comme toujours s'était pris à son propre piège. Maintenant, il se retrouvait à moitié ivre dans les bras d'un garçon qui comprenait seulement ses préférences pour les hommes. Si seulement il savait que tout ceci n'était pas réciproque sans doute s'éloignerait-il honteux pour l'ignorer à jamais. A ce moment précis, il comprenait l'ampleur de l'expression : savoir fermer sa bouche. Il allait dissimuler la vérité pour le bien d'un frère et il ne s'en prenait à qu'à lui-même si sa bouche était à présent aux prises d'une autre.

Enfin l'illumination ou peut-être l'effet de l'alcool sembla s'éveiller en Cameron. Alors que Clay s'apprêtait seulement à se reculer, il sentit ses mains sur sa nuque et sa bouche à la recherche d'un baiser plus profond. Interdit, il ouvrit brusquement les yeux sous la surprise et manqua de s'écarter en lui mettant une droite mais fort heureusement, Cameron avait fermé les yeux et ne voyait rien de tout ce manège. Tout serait terminé demain, tout serait terminé demain... Une main contre le mur près du visage de son camarade, son autre main agrippa sa nuque à son tour et quelques cheveux par la même occasion. Faire comme avec les filles pendant seulement quelques minutes, c'était le deal. Clarence décida alors de fermer les yeux : penser à une jolie nana, penser à une bombe, penser à Ashleigh... Malgré lui, cette pensée réveilla son instinct séducteur tandis qu'il y mettait plus de cœur involontairement sans bouger ses mains d'un pouce. Ça n'était pas les mêmes lèvres, ça n'était pas le même personne et Dieu sait qu'il aurait tout échangé au monde, à commencer par les attributs masculins de Cameron pour avoir à la place la chute de reins de son ancienne petite amie. Clarence finit par séparer ses lèvres de celles du jeune homme mais n'ouvrit pas les yeux pour autant. Il glissa ses lèvres dans son cou pour y déposer quelques baisers à la recherche de cette effluve fruitée mais c'était horrible... Ca n'était pas son parfum non plus qu'il retrouvait là.

J'étais entrain d'embrasser l'un des garçons que je supportais le moins sur le campus, et voilà... que j'y prenais un putain de plaisir ! Mes lèvres avaient accueilli celles de Clarence comme jamais elles ne l'avaient fait. Et aussitôt notre baiser avait commencé, aussitôt je réalisai que jamais je ne l'oublierais. Ce n'était pas ma première expérience, c'était juste... différent ! Clay' n'était pas quelqu'un que je m'imaginais embrasser un jour, d'autant plus qu'il avait toujours été le parfait hétéro macho et stupide que j'avais l'habitude de croiser dans les couloirs et de supporter, à quelques occasions. Et pourtant, les faits étaient là. Nous nous embrassions ! Bordel que c'était bon. Je le laissais mener la danse jusqu'à ce que mes mains remontent le long de sa nuque et se déposent dans ses cheveux. Comme je l'avais fait avec Hassan, j'avais fermé les yeux et laissé l'excitation me guider, m'envahir et me gagner. L'alcool n'agissait plus sur moi. Dès que Clarence avait commencé à m'embrasser, j'en avais perdu l'esprit, j'en avais perdu la raison. Non, ce n'était pas de l'amour, juste du fantasme, du plaisir, de l'excitation. J'avais retrouvé ma contenance pour aussitôt l'abandonner dans les bras de Clay' ! J'étais ridiculement pathétique, c'était lamentable, vraiment. J'agissais comme une pauvre adolescente à qui on venait de donner son tout premier baiser, pourtant, il y avait quelque chose dans cet échange qui surpassait tous ceux que j'avais vraiment connu. Peut-être était-ce le fait d'agir, pour une fois, en pleine conscience de mes actes. J'étais gay, et à présent, j'étais prêt à l'assumer, du moins, c'est ce que je ressentais sur le moment.

Et puis Clay' quitta mes lèvres. Je m'attendais à ce qu'il abandonne tout le reste et que tout revienne à la normale, je m'attendais même à ce qu'il me demande encore de flirter avec cette inconnue et pourtant... Les lèvres de Clarence descendèrent le long de mon coup, pour y déposer quelques baisers. Je frémissais de plaisir, je levai le visage, je soupirai. C'était inconcevable, et pourtant, c'était excellent. Je ne pouvais plus me défaire de cette image, plus me défaire de cette étreinte. Mes mains continuèrent de s'accrocher à la nuque de Clay', mes pieds étaient sur le poids de quitter le sol. Je sentais chacune des parties de mon corps vibrer, trembler. Mes jambes étaient fragiles, je les sentais vaciller et pourtant. Je crevais d'envie de tout arrêter là, cette émotion était trop forte, mais trop enivrante. Je ne pouvais me défaire, et pourtant... De ce choc, de cette sensation, j'en avais la gorge sèche, les mains moites et les membres crispsés. J'étais prêt à tout pour continuer, tout autant que j'étais prêt à tout pour tout arrêter. C'était malsaint et pourtant, j'y prenais un plaisir incomensurable. C'était pêché, mais dieu que le fruit interdit était savoureux. Alors je laissai Clarence continuer, adieu mon libre arbitre, je me soumettai et puisqu'il fallait être soumis pour goûter au plaisir, j'étais prêt à tous les sacrifices...

Si Clarence sentait tout le corps de Cameron s'abandonner à ses baisers involontaires, son corps lui ne réagissait plus à rien, seulement au souvenir. L'alcool lui tournait la tête d'où la lenteur de ses gestes mais il excitait alors son imagination, tous les souvenirs qu'il avait bien enfouis pour ne pas les voir resurgir avec appréhension. Il avait le dessus à cet instant précis et il aimait l'avoir. Il cherchait toujours à dominer les autres que ce soit aux cours de droit, lors d'un affrontement verbal ou lors d'un moment intime avec une fille. Il avait le contrôle et pourtant, il ne parvenait toujours pas à maîtriser les images qui défilaient devant ses yeux fermés. Oui, malgré lui, Clay revivait le premier baiser qu'il avait eu avec Ashleigh, un peu la même situation. Ils s'étaient croisés au hasard, avaient passé des heures à errer et à parler et reparler. Il se souvenait ne pas avoir retenu ses critiques malgré l'envie de paraître civilisé mais elle avait ri, elle n'avait pas fui. Puis pour lui dire au revoir, il l'avait emmenée à l'abri d'un arbre dans Green Hill Park et sans même attendre son accord, il l'avait embrassée. Ca n'était ni prémédité, ni réellement voulu. Qui aurait cru que Clay irait s'enticher d'une fille comme elle ? Personne même pas lui. Aujourd'hui ce soir même, il ouvrait les yeux d'un frère et les siens par la même occasion. Il n'avait rien préparé, pas même cette mascarade. Il avait maintenant ses certitudes envers Cameron et quand bien même, un jour, une remarque désobligeante lui démangerait quand il passerait devant lui, il la retiendrait. Parce qu'à partir de ce soir, c'était à son camarade de faire le reste.

Clay poursuivit quelques instants ses baisers dans le cou de Cameron, parfaitement sage. Mais lorsque son instinct le poussa à se coller lentement à lui, la réalité lui reparut. Ce n'était qu'une illusion, il n'était pas celle et surtout pas celui qu'il voulait embrasser à cette heure précis. Ashleigh lui manquait. Terriblement. C'est cette pensée douloureuse qui le sortit de sa torpeur. Il ouvrit les yeux, et se rendant compte dans quel pétrin il s'était mis, il dut prendre quelques secondes le temps de retrouver une respiration régulière. Non son cœur ne palpitait pas d'excitation, du moins pas envers Cameron, il s'affolait de désarroi. Sa main quitta la nuque de son ami pour passer sur son propre visage puis dans ses boucles. Garder le contrôle. Ne pas affoler la biche. « Je crois que tu as quelque chose à m'expliquer, Mitchell... » Chuchota-t-il d'une voix qu'il voulait la plus neutre possible, bien qu'une pointe de triomphe s'y dissimulait. Enfin, Clay se redressa et recula de quelques pas pour toiser Cameron. Il était fiévreux, presque tremblant. Ses yeux brillaient d'une lueur étrange, qu'il n'osait penser être du désir. C'était flatteur, presque. Clay n'avait quasiment aucune attirance pour le même sexe mais il n'aurait jamais pensé que Cameron lui apparaisse aussi différent, presque épanoui, bien qu'ivre. Il avait gagné.

J'avais cette furieuse envie d'en finir, de couper court à cet entretien démentiel et de me réfugier dans mes études, dans mes lectures, et en même temps, j'avais cette horrible impression de désirer plus que jamais que Clay' n'arrête pas la cadence de ses baisers, pourtant... Déchiré entre fantasme et dégoût, je ne pouvais plus agir, je me laissais guider, je m'abandonnais sous la puissance des arguments de Clarence. Je ne faisais décidément pas le poids face à son charme déroutant et à son attirante assurance. Honte à moi, je n'avais aucune force, aucune volonté. Alors je le laissais, je le laissais prendre le pas sur moi, sur ce que j'étais, je le laissais me faire découvrir avec terreur et frayeur l'homme que j'étais vraiment, au fond. Homosexuel, et pas qu'un peu. Exit toutes les pensées que je pouvais avoir sur des femmes d'âges mûres, exit aussi cette putain de voix qui tambourinait dans mon crâne et qui me sommait de continuer à croire en cette femme qui un jour viendrait, et exit cette providence qui me laissait croire qu'un jour, peut-être, je rencontrerais la femme idéal. A l'instant même où les lèvres de Clarence se posèrent sur les miennes, mon univers entier changea de couleur, de forme. Et mon avenir, je le voyais à présent avec un homme, de mon âge ou pas, mais avec un homme. Architecte, employé de commerce, chômeur, étudiant, avocat, blanc, noir, chocolat, excentrique, solide, stable, responsable, immature ou introverti, peu m'importait la forme puisqu'à présent, j'avais le fond. J'aimais les hommes, je n'aimais que ça. Et c'était pour moi compliqué de le cacher à présent. Juste au moment même où j'atteignais l'exaltation pure et dure, Clay se retira, légèrement ébranlé par ce qu'il venait de se passer entre nous, il s'ébouriffa les cheveux et recula. Puis il planta ses yeux dans les miens. Envouté, je lui souris doucement, et puis, je déchantai. Son ton grave, et son air sérieux me firent soudainement comprendre qu'il n'avait fait que jouer avec moi pour parvenir à ses fins. Depuis quand préparait-il ce coup ? Depuis quand se doutait-il que j'étais un homo refoulé ? Brusquement tremblant, mes jambes faillirent vaciller. Prenant appui contre le mur derrière moi, je le dévisageai, interdit. « Au contraire McPherson, je crois que je n'ai plus rien à te dire. » tentais-je d'articuler en étouffant un sanglot. Trahi, abusé, je le fusillai du regard avant de le bousculer. « Je n'ai plus rien à te dire. » me répétais-je avant de prendre mes jambes à mon cou, il était temps que je dégage, Clay' avait déjà trop profité de ma naïveté.

- je termine le sujet comme ça, pour le besoin de l'épisode, en espérant le poursuivre plus tard -

Clarence espérait enfin faire la lumière sur le cas de Cameron. Jamais il ne s'y était intéressé plus que ça, jamais il n'avait cherché à le revoir en dehors des heures de cours ou des réunions de confrérie. Et ce soir, alors qu'enfin il avait éclairci l'esprit embrumé de son camarade et ses propres doutes par la même occasion, il lui semblait que tout ça avait été un labeur de longue haleine. Le mot était peut-être plus approprié qu'on ne le croyait car n'était-ce pas grâce à ce baiser que les yeux du garçon autrefois studieux brillaient d'un bien-être réconfortant ? Il avait senti la sérénité s'emparer de lui quand Clay s'était fait passer pour ce que Cameron aurait peut-être voulu qu'il soit. Il avait senti son investissement et sa soudaine assurance dont personne n'était au courant dans son entourage. Maintenant il voulait simplement qu'il avoue ses sentiments, qu'il avoue que toutes les étranges sensations qu'il refoulait n'étaient que le reflet de ce qu'il était vraiment. Les parents de Clarence s'étaient toujours grandement battus pour que leur fils unique s'accepte tel qu'il était, avec ses qualités et surtout ces défauts. On lui avait rabâché maintes fois ce discours durant son enfance, puis son adolescence. Un tempérament aussi explosif et propice au conflit aurait du faire des dégâts durant cette période mais jamais on avait eu à se plaindre de Clarence, hormis le fait que désormais on devait l'appeler Clay parce qu'il trouvait son prénom ''pas du tout représentatif de sa personnalité ''. Aujourd'hui c'était au tour de Cameron, avec beaucoup de retard certes.

Clay n'avait vu aucune perversité ni mauvaise intention dans ses dernières paroles. Il révélait à demi-mots que sa propre attitude avait été savamment orchestrée mais il n'aurait pas pensé que l'étudiant ait une réaction aussi virulente. Sans qu'il puisse ne s'y attendre, le visage de Cameron se décomposa et ses yeux se noircirent de rancœur. D'abord surpris, il ne prononça mot lorsqu'il lui somma de ne plus jamais l'approcher. Ils n'avaient plus rien à se dire ? Avant que Clay ne percute que tout ceci était dû à la déception, Cameron le poussa pour pouvoir s'enfuir, d'un pas presque théâtral de l'ami trahi. Retrouvant son vocabulaire spontané et peu convenu, il s'exclama : « Attends, c'est une blague que tu m'fais là ?  » Il esquissa un grand pas en arrière pour attraper la manche de l'étudiant mais déjà celui-ci s'était dégagé avant de partir à grandes enjambes, probablement pour se réfugier dans son trou à rat qu'était sa chambre de petit étudiant parfait. Clay avait-il raté son coup ? Poussant un juron à haute voix, il déclencha la curiosité des autres clients qui, par chance, ne firent pas le lien entre sa colère et le départ de Cameron. L'histoire n'était pas finie. Après les efforts qu'il avait du fournir, jamais il ne laisserait cette situation stagner de la sorte. D'un geste rageur, il tira à son tour la porte de l'Oz et sortit précipitamment pour aller prendre l'air. Pour la première fois de sa vie, il voyait aussi le verre à moitié vide.

sujet terminé.