Tenir une conversation de plus de cinq minutes avec Lynn Burns, tel était le défi du jour. Un défi plutôt simple en apparence qui relève en vérité du très haut niveau. D'après ses potes, cette fille était aussi fermée qu'une huitre. Souvent seule, l'étudiante était réputée pour être asociale. Le seul sujet susceptible de l'intéressé restait encore la littérature, d'où la difficulté pour le bizut. Le défi lancé, il quitta sa bande de pote et se dirigea vers la jeune femme en question, à environ cinquante mètre de là. Si elle l'avait vu venir de la troupe de kappas, il n'aurait pas eu la moindre chance. Tout d'abord installé sur un banc non loin de Lynn, il l'observa en réfléchissant à comment l'aborder. Le plus simple aurait été de faire mine de s'intéresser au livre qu'elle était en train de lire mais lorsque les minutes passèrent, toutes les rumeurs à son sujet semblaient loin de la vérité. Elle avait l'air tout à fait accessible, une fille banale passionnée de littérature tout simplement. Suivant son instinct, il se leva de son banc et capta son regard lorsque sa silhouette lui cacha le soleil. Un grand sourire sur les lèvres, il s'assit auprès d'elle « Lynn Burns ? » demanda t-il en feintant l'ignorance. Le plus naturellement du monde, il continua : « C'est juste des rumeurs ou t'es vraiment froide ? » La curiosité de David était souvent déplacée mais le bon côté, c'est qu'il était directe au moins.

Ses doigts aimaient caresser distraitement la texture du papier. Comme souvent, Lynn était occupée à lire, et pour cette fois-ci, elle avait décidé de relire un de ses classiques. 1984. Ainsi plongée dans son livre, la Solitaire ne prêtait pas attention à la grisaille, ni même aux étudiants l'entourant. Elle n'avait que peu de contacts ici, et il fallait le dire, aucun ami, alors pourquoi observer les autres ? Lynn savait pourtant pas mal de choses sur les autres universitaires, alors que la plupart ignoraient tout d'elle, certains savaient juste qu'elle était une ancienne amie d'Ashleigh, celle qui avait été tuée, mais hormis cela, ils ne savaient rien d'elle. Parfois, elle le regrettait, mais la plupart du temps, elle se disait que c'était bien mieux ainsi. Elle fût donc assez surprise lorsqu'un des étudiants vint l'aborder. David Johnson. Elle le connaissait de vue, mais sans plus , elle savait surtout qu'il était une sorte de plaisantin qui aimait rire plutôt qu'étudier. Elle ne comprenait donc tout simplement pas pourquoi un Extraverti de la sorte avait comme lubie soudaine de venir lui adresser la parole. Relevant distraitement ses yeux sur le Curieux, elle répondit d'une voix neutre tout en replongeant dans son livre. « En quoi ça t'intéresse ? Tu n'as pas mieux à faire avec tes frères ? » Elle reprit sa lecture pendant quelques secondes mais voyant qu'il ne bougeait pas, elle laissa ses doigts contre la page en cours avant de refermer son livre, son autre main se posant nerveusement sur la tranche du bouquin. Malgré tout, elle n'avait pas l'habitude qu'on vienne lui parler. Sans doute pour cela qu'elle ressentit le besoin idiot de se défendre en tentant tout simplement de le faire fuir. «  Tu devrais aller parler à une de ces filles populaires avec qui tu as plus l'habitude de traîner. Tu perds ton temps. » Sa tête s'était détournée pour observer les alentours, quelques autres étudiants les observaient parfois d'un œil curieux, parfois d'un œil amusé. Lynn détestait attirer l'attention, mais il n'y avait pourtant rien ici qui soit de nature à créer un événement. Néanmoins, elle tentait de fuir David, mais seulement, elle n'avait pour le moment pas reprit le cours de sa lecture.

Son regard se posa immédiatement sur sa main. Tel un animal sauvage, Lynn était à prendre avec des pincettes pour ne pas l'effrayer. David avait senti la nonchalance qu'elle dégageait d'entrée, peut-être justement à cause de sa question trop directe ? Se remettant beaucoup en questions d'ordinaire, il n'eut pas à se demander bien longtemps si c'était sa faute ou non. Il était clair que oui. Il esquissa un sourire, à demi-gêné lors de sa question qui était plus rhétorique qu'autre chose. Pourtant, le bizut du répondre, comme s'il ne commandait pas son flot de paroles. « Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi les rumeurs m'intéressent, je ne sais pas pourquoi je traine avec les filles populaires, je ne sais pas pourquoi j'ai envie de te parler.. Je le fais, c'est tout. » Suivre son instinct, ne jamais se prendre la tête, prendre la vie comme elle vient, en toute simplicité. Pourquoi fallait-il des raisons pour faire quelques choses ? « Ce que je suis sur, c'est que je ne perds pas mon temps, jamais. » Que ça soit n'importe quoi, David adorait la vie. Jamais il ne dira qu'il perd son temps. Il s'assit en tailleur, se tournant face à Lynn, les mains sur les cuisses. « Après réflexion, c'est peut-être parce que tu me rappelles moi que je t'ai posé cette question. J'étais timide, hyper renfermé. J'osais rien faire, rien dire. » dit-il toujours autant naturel, comme si déballait sa vie ne le gênait pas. Et c'était vrai. Ce garçon avait aucune pudeur sentimentale. « Alors, tu es comme moi ou différente ? »

Elle ne comprenait pas. Elle n'avait jamais attiré l'attention. Depuis des années maintenant, elle était habituée à vivre dans l'ombre d'une autre. Et Lynn s'apercevait que l'on prenait goût à tout, même à la noirceur. Quelque part, dans le noir, il n'y avait pas besoin de s'exposer, juste à laisser son âme vagabonder dans une sorte de chaos intérieur qui n'est en fait partagé avec personne, hormis avec son propre tourment. Et voilà que David se tenait en face d'elle, une lumière presque aveuglante, en tout cas nouvelle. Mais la Solitaire ne croyait pas en une telle pureté, elle se méfiait plus que tout du vrai visage qui se cachait derrière une apparente candeur. « Hum... donc tu as eu pitié de moi ? Comme c'est touchant ! Comment peux-tu en conclure que ma timidité et le fait que je sois renfermée me gêne ? » Les paroles étaient froides, presque acerbes. Si ce jeune homme aux traits avenants restait quelques minutes de plus planté là, alors la Brune ne pourrait qu'admettre son courage, voire une témérité certaine. Elle l'observa quelque peu interloquée s'asseoir en face d'elle, elle ne put cependant réprimer un léger froncement de sourcils dévoilant une mimique agacée. Pour le faire fuir, c'était raté... Se raclant doucement la gorge de désarroi, elle osa de nouveau poser son regard sur le visage qui lui faisait face. Malgré la superficialité certaine de sa compagnie, elle se surprenait à observer une lueur plus authentique cependant la Mystérieuse peinait à y croire. « Tu es toi, je suis moi, nous avons peut-être des points communs mais nous sommes complètement différents. » Les rumeurs, les rumeurs... Elle ne pensait pas être suffisamment intéressante pour délier les langues les plus acerbes. Elle était froide, il était vrai. Par la force des choses. Mais elle n'était pas étonnée que tous ces étudiants superficiels se contentent de la surface. « Les rumeurs, c'est juste de la connerie. Et en tout cas, tu perds clairement ton temps à écouter tous ses cancans. » En l'observant ainsi, elle avait du mal à imaginer que David cache une ancienne personnalité de grand Timide, il était à présent tellement à l'aise. Une ébauche de sourire se dessinant sur ses lèvres, elle ajouta : « La preuve, j'ai bien entendu un jour que tu n'étais qu'un crétin qui relevait toutes sortes de défis stupides. » Sans ciller, elle le détailla quelques secondes avant que d'un timbre neutre, elle n'achève «  Mais c'était peut-être vrai en fin de compte. »

Aussi peu d'humilité sur sa vie aurait pu éveiller la méfiance de Lynn, surtout s'agissant de David, le mec extraverti par excellence. Mais lorsqu'on le connaissait même un minimum, il était facile de savoir qu'il ne mentait pas. Et même là, ayant discuté quelques minutes avec lui, elle pouvait déjà sentir sa sincérité. « Les rumeurs, c'est juste de la connerie. Et en tout cas, tu perds clairement ton temps à écouter tous ses cancans. » Pour un esprit intellectuel comme elle surement -bien qu'il était sur qu'au fond, les ragots intéressaient toujours- mais pour lui, c'était tout autre chose. Qu'est-ce qu'il aimait les rumeurs ! Le truc, c'est qu'il était tellement insouciant qu'il ne voyait pas de mal la-dedans. Avec un peu de jugeote, son addiction pour elles seraient moindres. Malgré tout, il admettait sans mal que la plupart ne volait pas haut. L'étudiante enchaina sur une rumeur le concernant, non sans une once de provocation -qu'il ne releva même pas-. Il resta figé un moment, perdu dans ses pensées. Et puis le coin de ses lèvres remontèrent, un large sourire remplie la moitié de son visage. Il se redressa d'un coup, ses grands yeux étoilés rivés sur elle. « C'est pas vrai, on parle de moi ?! Je pensais pas avoir fait impression ! C'est génial ! » Comprenez-le. Pour lui, nouveau étudiant ici et pourtant, qu'on parle déjà de lui c'était inespéré ! Il pensait qu'il se ferait connaitre à partir de l'année prochaine au mieux ! Alors qu'on dise qu'il était un crétin, ça passait au second plan. « C'est vrai. J'ai un manque et ça se ressent. J'ai pas pu développer ma logique, ma réflexion, ça s'entend quand je parle, quand j'écris aussi.. Ca fait de moi un crétin pour certaines personnes, c'est normal. Puis pour les défis, je ne peux qu'être d'accord. Je t'en donnerai un un jour, tu verras comme c'est drôle ! » Cette fois, David fit preuve d'un peu plus de pudeur en ne précisant pas que ce retard scolaire était du à une enfance clouée au lit. D'ailleurs, c'était aussi la cause de son gout pour les défis stupides, ayant l'impression de vivre plus. « D'ailleurs, c'est pour un défi que je me suis intéressé à toi à la base. Tenir une discussion avec toi pendant cinq minutes et il est... » il regarda sa montre « Oh, cinq minute passé ! Défi accompli ! » A ce moment-là, David n'avait pas conscience que son aveu pouvait être mal pris. Pour lui, l'un empêchait pas l'autre. Il pouvait accomplir son défi tout en s'intéressant à la brunette. Le jeune garçon pur et sans arrières pensées pouvait devenir tout à coup le kappa se foutant d'elle et l'espoir de gagner la sympathie de la demoiselle s'assombrirait en même temps que lui.

Ce type là était tout de même assez déconcertant. Déjà, il venait lui parler sans qu'elle ne sache réellement pourquoi et alors qu'elle lui lançait une ultime provocation au visage, voilà qu'il y répondait par une joie loin d'être feinte. Surprise, Lynn ne put s'empêcher de rire face à la spontanéité de sa réaction. Et pourtant, il était bien rare que la Brune s'adonne au rire surtout avec un inconnu – à la réputation de crétin qui plus est-. Elle reprit tout de même vite contenance et rétorqua : «  Tu sais, il n'en faut pas beaucoup pour délier les langues ici, regarde, apparemment même moi j'ai la réputation d'être froide. » Sa main libre se posant négligemment sur un de ses genoux formant la position en tailleur qu'elle avait adopté, Lynn ne montrait rien du conflit intérieur qui la submergeait, une partie d'elle se demandait bien pourquoi elle était entrain de lui faire la conversation. « Alors que pourtant, il n'y a pas moins intéressante que moi. Franchement, il n'y a pas tellement de quoi se réjouir. » Faire l'objet de rumeurs était pour sa part le cadet de ses soucis, les autres pouvaient bien dire ce qu'ils voulaient. Après tout, Ashleigh était plutôt du genre populaire et il suffisait de regarder le résultat pour en conclure que parfois il valait mieux savoir rester tranquillement dans son coin. Mais le pire dans tout ça c'est qu'il y croyait, il convenait ouvertement du fait qu'il soit possiblement un peu crétin. C'en était trop pour Lynn. Elle ne supportait pas que les autres vous façonnent à leur image, et que finalement, on se contente du moule qu'on avait crée pour votre personne. « Ne laisse pas les autres décider à ta place, tu n'es pas un crétin, tu es peut-être inconscient et trop spontané, mais si tu es ici, c'est que tu n'en es pas un. » N'allez pas croire qu'elle faisait preuve à son égard d'amitié, voire d'affection, mais la Mystérieuse avait le mérite d'être honnête avec les personnes qui voulaient bien s'aventurer à lui tenir une conversation et elle avait pour habitude de dire ce qu'elle pensait. Que ça plaise ou non d'ailleurs. David lui avoua ensuite le pourquoi de sa venue auprès d'elle. Tout simplement un défi. Elle n'était pas étonnée, ni fâchée. Au fond, elle était même amusée de la nature de la compétition. Voilà qui prouvait une fois de plus qu'on la connaissait mal. Fallait-il lancer un défi stupide pour qu'on daigne venir lui parler ? Simplement parce qu'elle n'offrait pas à la foule estudiantine un sourire avenant de façade et quelques mots banals lâchés par pur goût de séduction ? Pour finalement renforcer son ego par le biais des opinions étrangères. «  Et bien, je pense que je dois te dire : Félicitations !  Mais pour ce qui est des défis, non merci. Chacun son truc. » Ouvrant de nouveau son livre, elle allait tout simplement reprendre le cours de sa lecture. Après tout, David avait atteint son but, nul doute qu'il allait à présent rejoindre ses frères et faire part de sa réussite. Tel un preux Chevalier, il avait apprivoisé le Dragon Burns pendant cinq minutes sans se faire brûler. Alors que son regard se dirigeait sur les pages noircies d'encre, un nouveau sourire vint éclairer son visage de porcelaine.

Loin de vouloir émouvoir la galerie, d'attiser la compassion chez elle, David n'avait fait que répondre d'un ton détaché. Il n'était pas vraiment triste de cette rumeur. Non pas que ça ne le touchait pas mais chacun avait sa vision des choses. C'était comme dire qu'il était brun. C'était un fait, voila tout. Au fond, était-il un crétin ou pas, il ne se posait même pas la question. « Oh ne t'inquiètes pas pour ça » répondit-il avec un sourire non feint. Il était tout de même agréablement surpris que Lynn ne le considère pas comme un crétin après cinq minutes à discuter. Ou peut-être était-ce juste par esprit de rébellion contre ses rumeurs qu'elle lui disait ça. « Et bien, je pense que je dois te dire : Félicitations ! Mais pour ce qui est des défis, non merci. Chacun son truc. » Il esquissa un sourire, simple tandis qu'elle reprenait le cours de sa lecture. David avait accompli son défi, il était inutile de la déranger davantage dans sa lecture. Il se décida donc à se lever. « Merci Lynn. On se revoit bientôt hein ? Demain, même heure, à cet endroit précis ! » Il ne lui laissa même pas le temps de répondre, il partait déjà. Il saura s'il avait réellement réussis à intéresser demain. Si c'était le cas, il la retrouverait demain. Dans le cas contraire, ce ne sera qu'un rejet en délicatesse. « Tu m'apporteras un de tes livres, je suis curieux de savoir ce qui te fascine autant dans ses gros bouquins ! Choisis en un spécialement pour moi, hein ! A demain ! » cria t-il étant à quelques mètres d'elle maintenant, sur un ton enthousiaste. Il ponctua ses paroles par des grands signes d'au revoir jusqu'à se retourner complètement.