Noélie

Munis de ce que je me plais à appeler "l'artillerie lourde", bien que franchement c'est loin d'être lourd et ça n'a absolument rien de viril, j'attend patiemment, adossé contre un mur, que ma furie blonde préférée sorte de son cours d'histoire du cinéma. Le couloir n'est pas particulièrement bondé à cette heure de la journée, mais je parviens tout de même à sentir quelques regards curieux qui s'attardent sur ma silhouette immobile lorsque leurs propriétaires passent à mes côtés. Il est vrai qu'il n'est pas courant de voir un grand gaillard athlétique comme moi porter du bout des doigts le ruban un brin trop scintillant entourant une boîte colorée de pâtisseries. C'est, disons, en quelque sorte notre rituel post-dispute... Enfin, tout est relatif. Pour être franc, c'est uniquement la seconde fois de mon existence que je fais la démarche d'aller acheter des petites viennoiseries françaises dans une boutique chic en périphérie du campus. En fait, je trouve que c'est le genre de chose qui ferait un beau rituel -d'autant si elle accepte de partager- malgré que ça fasse plutôt chère la dispute. Fort heureusement pour mon portefeuille, Noélie et moi, bien qu'ayant des personnalités plutôt contradictoires, sommes en règle générale sur la même longueur d'onde à propos de tout et n'importe quoi. Le sujet Enzo Reed est l'un des seuls depuis bien longtemps à avoir semer le désaccord dans notre relation. La porte s'ouvre, laissant une grande part des étudiants s'échapper de la salle de cours aux stores baissés et accessoirement menaçante pour tous les semi-claustrophobes peuplant la MVU. Au milieu de ce déferlement de jeunes gens, je finis par intercepter la demoiselle, à qui j'adresse une moue enfantine censée se montrer irrésistible et convaincante. « Aiiime-moi ! » dis-je d'une voix faible et éraillée aux similitudes très avancées avec une créature comme un gremlin ou encore un ewok, censée la fair abdiquer en ma faveur pour qu'elle daigne enfin m'adresser à nouveau la parole et continuer à m'embêter comme elle seule sait le faire.

Noélie soupira légèrement, regardant distraitement par la fenêtre jusqu’à ce que le professeur ne demande à l’un d’eux de baisser les stores pour qu’ils puissent regarder plusieurs extraits de films qu’il leur faudrait analyser par la suite. La belle passa une main dans sa chevelure, lassée. Elle n’avait envie de rien faire. L’Oméga Phi adorait ce cours et pourtant elle serait bien restée dans sa chambre à ne rien faire. Et s’était trainée jusqu’à la place pour prendre place au fond de la salle. L’extrait de film défilait sous ses prunelles vides alors qu’elle griffonnait néanmoins sur son calepin quelques mots incompréhensibles. La cause de cette baisse de régime ? Un garçon. Comme bien souvent et même toujours. Cependant, ce n’était pas ce que l’on pouvait penser. De longues et interminables minutes filèrent quand enfin le professeur annonça la fin du cours. Un nouveau soupir lâché, elle rangea pêle-mêle ses affaires, décidée à ne pas aller au prochain cours, et sorti dans les premiers de la pièce. Noélie aligna les pas rapidement, comme pressée, avant que quelqu’un ne la rattrape et lance un « Aiiime-moi ! » Perplexe, elle arqua un sourcil avant de se retourner et d’apercevoir ledit garçon de précédemment tenant à la main une boite. Ses prunelles inquisitrices bloquèrent sur la boite blanche. « C’est-ce que je pense ? » fit-elle mystique en plantant ses prunelles dans celles du jeune homme. « Le drapeau blanc » ajouta-t-elle. Oui, limite elle se fichait de ce que contenait ladite boite pourvu que le but de celle-ci était la réconciliation. La blonde ne supportait pas les tensions, ou alors très mal, surtout avec ses amis, ou dans ce cas là: son meilleur ami. Ainsi, elle s’approcha du jeune homme, un sourire aux lèvres. « Seulement si la réciproque est vraie » répondit-elle enfin à la réplique de Timon, affichant un sourire lumineux.

Un léger sourire effleure mes lèvres pendant un court instant lorsque Noélie laisse son regard inquisiteur traîner sur ma silhouette et mon petit paquet, l'air de vouloir juger la situation. Je tente de garder mon sérieux et rembarre vite fait mon envie de m'esclaffer pour rester aussi convaincant et adorable qu'il le faut fasse à la jeune femme. « C’est-ce que je pense ? » J'acquiesce d'un léger signe de tête, la laissant déclarer fermement la fin des hostilités: « Le drapeau blanc. » Solennellement, j'exécute une nouvelle fois un bref hochement de tête. « Exactement. Du beurre à l'état pur pour t'engraisser et finalement te garder entièrement pour moi une fois que tu seras devenue aussi énorme que le Texas. » dis-je sur le ton de la plaisanterie avec un sourire aussi tendre que du chamallow. Bien qu'en règle générale je met un point d'honneur à sembler continuellement être ennuyer par son omniprésence, la récente affaire Enzo Reed prouve bel et bien à quel point au final je me sens perdu sans ma tête blonde préférée dans mon périmètre personnel. « Seulement si la réciproque est vraie. » Je fourre la boîte de pâtisserie dans les mains de Noélie, en profitant pour lui embrasser affectueusement la joue, puis déclare d'une voix faussement gaga, digne d'une adolescente pré-pubère: « Pour la vie BFF ! » Je m'étire en baillant sans grande retenue, avant de lui donner un petit coup de coude dans le bras, en désignant d'un mouvement de la tête, par ailleurs encore endormie bien que l'heure du déjeuner soit déjà passé, le paquet. « Je sais que c'est le genre de chose qui peut ruiner mon plan machiavélique, mais tu vas pas tout garder pour toi, hein ? » Je souris d'une manière un peu trop angélique pour être vraie et même tout simplement pour ne serait-ce que paraître crédible.