BETHANY REAGAN

De ma démarche nonchalante habituelle, je déambule le long d'un des nombreux chemins en pierre qui relient un bâtiment de la MVU à un autre. Machinalement, je bifurque vers la droite. Après avoir eu tout le loisir d'arpenter l'université en long et en large l'année précédente, je connais à présent chaque lieu du campus et tout ce fait avec un automatisme presque ennuyeux, bien que très utile lorsque je suis en retard pour me rendre à l'un de mes cours. Je grimpe les marches menant au secrétariat deux à deux. Pas parce que je suis pressé, mais parce que j'ai toujours trouvé qu'on avait particulièrement l'air ridicule à s'attarder sur des marches dont la circonférence ne permet pratiquement pas à nos pieds de pouvoir tenir dans un équilibre stoïque. Arrivé en haut du minuscule escalier, je n'ai plus qu'à pousser la lourde porte massive pour entrer dans l'édifice. Je me retrouver nez à nez avec Bethany Reagan, chose que j'aurais sûrement préféré éviter. Combien avais-je de chances de la croiser ici, pile au moment où je viens demander quelques retouches sur mon emploi du temps ? Tout ça à cause de cours qui ont lieu en même temps et à moins d'être possesseur du pouvoir de duplication corporelle, chose que j'ignore, mais qui me parait assez compromise, il s'avère qu'il met impossible de m'y rendre en même temps. En fait, j'aurais dû m'en douter. Bethany doit être sans arrêt fourrée dans le coin, gravitant entre le bureau du doyen et le secrétariat du campus pour ses histoires de confrérie à gouverner... Enfin à diriger. Non pas que je ne l'apprécie pas, mais je ne sais tout simplement pas comment je suis censé me comporter avec elle, depuis que je lui ai promis un dîner qui tarde à venir. D'ailleurs j'ignore encore à ce jour ce qui avait bien pu me prendre ce jour-là. Si ça se trouve elle m'a complètement oublié, et j'aurais l'air franchement stupide dans ce cas là en débarquant devant la présidente des Oméga Phi et en l'invitant au restaurant. « Tu veux sûrement passer... » dis-je avec une perspicacité à en faire rougir Barack Obama même, tout en faisant un pas sur le côté pour la laisser passer, sans lui adresser un regard. Je crois que de toute ma vie, je ne mettais jamais rendu compte d'à quel point je pouvais avoir l'air niais, avec mes deux bras se balançant allègrment de chaque côté de mon torse. Il n'est jamais trop tard pour s'en rendre compte, je suppose...

A chaque début d'année, Bethany avait tendance à passer autant de temps dans les bâtiments de l'administration qu'en salle de cours. Si ce n'est plus. Entre l'incompétence du secrétariat (il manquait toujours une salle sur son emploi du temps, un cours qui avait subitement disparu pour être remplacé par un autre qui n'avait pas lieu d'être), son perfectionnisme chronique et les multiples requêtes que la brunette directive tenait à soumettre au Doyen de la part des Omega Phi ou du club d'organisation d'évènements, autant dire qu'elle ne chômait pas. Rompue aux méandres administratifs, Beth était connue de tous et son statut de Présidente de la sororité la plus respectable du campus l'aidait à obtenir gain de cause bien plus facilement que si elle avait été un KBO empêtré dans le vice jusqu'à s'y noyer. Alors qu'elle s'apprêtait à pousser la lourde porte pour rejoindre la sortie, la jolie brune en profita pour libérer sa crinière de l'emprise du chignon élégant et austère dans lequel elle les avait emprisonné. L'apparence était primordiale et Bethany tenait à se montrer sous son meilleur jour à chaque fois qu'elle rencontrait un membre éminent de l'administration. Elle devait inspirer la confiance et la rigueur. Une main élégante savamment passée dans ses cheveux, elle tomba nez à nez sur... Timon Holbrook, qui manqua de lui rentrer dedans, une nouvelle fois. Ce qui lui fait esquisser presque instinctivement une moue contrariée. En plus d'être un KBO, ce qui signifiait un jeune homme tout sauf fréquentable (à l'exception notable de Jaden, bien que Bethany ne pouvait pas franchement l'ébruiter), Timon avait cette nonchalance insupportable qui lui donnait envie de le secouer comme un prunier. Pour une personne aussi en contrôle qu'elle-même, la désinvolture était une attitude puérile qui n'amenait rien de bon et témoignait sans nul doute d'un manque crucial de motivation et d'ambition. Mais Timon n'avait pas cette unique tare : il était doublé d'un imbécile inconscient qui avait manqué de l'écraser avec le dépotoir qui lui servait de voiture. Autant dire que le garçon était plutôt bas dans son estime - sans même essayer - et que Bethany devait prendre grandement sur elle pour rester pondérée et agréable en sa présence. D'ailleurs, sa réflexion lui fit lever les yeux au ciel sans même qu'elle ne puisse s'en empêcher. Quelle perspicacité. Beth consentit à lui offrir un sourire doux et poli tandis qu'elle se libérait de l'étreinte de son chemisier hors de prix afin d'en dégager son cou. Le nouer jusqu'en haut lui avait paru une excellente idée pour l'administration mais dorénavant, elle étouffait. Une fois fait, elle prit tout son temps pour reporter un regard qu'elle espérait le plus neutre possible sur Timon. « Il semblerait, oui. » Le KBO ne daignait même pas la regarder et restait là, les bras ballants. Il ne manquait plus qu'il se balance allègrement d'avant en arrière pour parfaire l'image du niais congénital. Insupportable ? Tout à fait. « A croire que tu apprécies de me couper la route. Heureusement que tu n'es pas en voiture cette fois. » Une esquisse bien trop dégoulinante d'hypocrisie pour être vraie s'imprima sur son visage doux, tandis que Bethany ne le quittait pas des yeux. Avait-il déjà oublié qu'il lui devait un dîner ? Elle, non. Elle n'oubliait jamais rien et comptait bien recevoir cette invitation sans la quémander. Ainsi, la brunette aurait le loisir de commander bien plus qu'elle ne pourrait manger, en espérant que le montant du repas soit nettement supérieur à celui du tas de ferraille qu'il osait appeler voiture.

Mes yeux se rivent sur le haut de son chemisier, qu'elle commence d'ores et déjà à déboutonner, alors qu'elle n'a toujours pas quitté le secrétariat -ma faute et bien que ce soit plus qu'une question de temps, en résumé le temps que je bouge mes fesses du passage. Je m'empêche de faire tout commentaire, malgré que je n'en pense pas moins. Attitude typique de Bethany Reagan: savoir paraître apprêtée quand il le faut et surtout devant qui il faut. J'imagine que moi et mes baskets en tissus effilochées devrions nous occuper de ce problème. S'habiller convenablement pour aider ses projets ambitieux, je veux dire. D'après le protocole habituel, des chaussures trouées non rien à faire en haut de l'échelle sociale, quoi que je trouve que la vie serait tout de suite plus intéressante sans toutes ces conventions. Plus de cravates qui scient le cou, plus de gaine amincissante... Sincèrement, on virerait presque à l'utopie ! Je glisse mes mains dans mes poches judicieusement, mieux vaut sembler désabusé que stupide, c'est un fait approuvé par les membres du conseil de MVU. Il suffit de voir les glandeurs ambitieux qui gravitent allègrement sur le campus... A moins qu'ils s'agissent de progénitures de ces derniers ou encore celles de richissimes hommes d'affaires, voir même pourquoi pas les deux, c'est une possibilité indéniable. « A croire que tu apprécies de me couper la route. Heureusement que tu n'es pas en voiture cette fois. » Je répond avec une voix neutre: « Ca doit être physiologique... Trop de temps passé sur la glace à me prendre des coups de crosses sur la tête. Ca abîmerait n'importe quel homme, je pense. » Un léger sourire se dessine sur mes lèvres, laissant dévoiler mes deux dents de devants écartées, ce qui vient sûrement confirmer l'image parfaite de l'arriéré inné qu'elle a dû m'attribuer. En fait, je suis loin d'être bête. Si je n'étais pas modeste, j'irais même jusqu'à dire brillant, et mon président de confrérie l'avait bien compris, ce qui explique pourquoi, malgré mon jeune âge, il apprécie tant ma compagnie, voir davantage que celle d'autres Kappa Beta Oméga plus âgés, mais peu de personne étaient assez observatrice pour s'en rendre compte et donc arrêtait de me classer dans autre chose que le stéréotype même du sportif pas très futé. Je poursuis, toujours sur le même ton privé de toute intonations: « Manquer d'écraser des gens est un bon moyen d'entrer dans la socialisation, il parait... ». Du garçon niais au possible, je devais sûrement venir de passer à l'aliéné marginal, mais bon, tant qu'à faire...

Délestée de son chignon et de quelques boutons, Bethany se sentait beaucoup plus à son aise. C'était tout de même un comble que les vêtements les plus chers et élégants correspondent souvent aux découpes les moins confortables. Rien qu'en repensant à sa robe du bal des débutantes, la brunette aurait pu ressentir l'envie de se pendre avec immédiatement. Mais elle ne s'en plaignait pas. Après tout, ses illustres ancêtre survivaient bien enserrées dans des corsages les empêchant de respirer... Il serait mal venu de geindre parce que danser la valse sur des talons de douze pouvait s'avérer incommandant. Il y avait bien plus inconfortable qu'avoir l'air parfaitement à son aise dans des escarpins tortueux selon Bethany et c'était tomber sur Timon Holbrook au détour d'un couloir. N'allez pas croire que la jeune femme était intolérante et médisante. C'est faux. Au contraire, elle était gracieuse, agréable et cordiale. Toujours le bon mot pour chacun et un sourire ravissant. Mais Timon n'était pas chacun. Il était un imbécile heureux inconscient et trop nonchalant pour être vrai qui réveillait en elle certaines pulsions. Si c'était son corps que l'on avait retrouvé après la soirée 'End of the World', Bethany aurait sans doute bien mieux saisi la suspicion de la police à son égard... Timon représentait à lui tout seul l'absence de valeurs qui régissait sa vie de socialite et en le voyant, Beth distinguait presque le mot 'échec' gravé sur son front. Le fait qu'il ne se soucie absolument pas de son apparence (elle se demandait d'ailleurs, quelle culture pouvait bien germer dans sa crinière hirsute) et considère une paire de tennis élimées comme des chaussures présentables renforçait son très mauvais a priori. Qui avait bien sûr débuté lorsqu'il avait manqué l'écraser et s'était contenté de rester égal à lui même : indolent et affreusement désinvolte alors qu'elle se retenait de lui exploser à la figure. Et en plus, il venait de la railler. Non, décidément, il était un parfait KBO : un homme forcément déviant, et pas assez intéressant pour qu'ell s'en soucie. Et en plus, il osait la railler. Bethany ne répondit pas - être désagréable n'avait jamais été son credo, quand même bien cela aurait été tout à fait mérité - et se contenta de lever les yeux au ciel à sa réplique. Afin qu'il saisisse tout le bien qu'elle pensait de lui. Son sourire mielleux s'élargit néanmoins. On ne pouvait pas dire qu'elle ne faisait pas d'effort afin de se montrer tout à fait cordiale avec cet infect individu. Timon avait raison, elle ne soupçonnait vraiment ni son intelligence, ni le fait qu'ils pouvaient éventuellement partager quelques points communs. Cela aurait été aussi surréaliste que de songer que les serviettes et les torchons pouvaient éventuellement se mélanger. « Il semblerait également que ça soit un excellent moyen de lancer des promesses en l'air. » Commença Bethany de sa voix douce et délicate, d'un ton sucré d'où ne semblait absolument pas pointer le reproche. Elle avait cette faculté de proférer tout et n'importe quoi de la façon la plus adorable qui soit. Si son langage n'était pas aussi châtié, Bethany aurait eu la faculté d'insulter quelqu'un de la pire façon qui soit, sans que sa voix mélodieuse ne s'en trouve altérée. « Enfin, nous ne pouvons pas tous nous targuer d'avoir une parole, bien sûr. » rajouta-t-elle d'une voix mutine, d'où pointait davantage un certain sarcasme. Ses prunelles noisettes plantées dans celle de Timon, il aurait été délicat de ne pas saisir le sous-entendu. Etrangement, elle était persuadée que le garçon allait feindre le contraire. Après avoir rejeté d'un geste raffiné et mesuré ses cheveux bruns en arrière, Bethany reprit la parole, un sourire en coin dessiné sur son visage ciselé : « En tout cas, si tu te socialises en manquant de renverser des piétons innocents, je préfère ne pas savoir ce dont tu es capable lorsque quelqu'un te plaît. Tu la poignardes d'abord et l'invite à sortir ensuite ? Charmant. » Ironisa la jeune femme. Après un très léger soupir de circonstances, Bethany jeta un coup d'oeil à sa montre Cartier pour la forme avant de conclure : « Et ne va pas t'imaginer que tes pratiques forcément déviantes m'intéressent. » conclut-elle, plus sarcastique que désagréable. Son ton restait d'ailleurs particulièrement avenant. Décrochant ses prunelles chatoyantes des yeux clairs de Timon, Beth s'apprêtait à prendre congé. Non pas qu'elle soit pressée mais vu qu'elle n'obtiendrait apparemment jamais réparation, elle n'avait aucune bonne raison de rester ici, à converser avec ce garçon agaçant sans même essayer.

Je me mord la lèvre inférieure pour empêcher un nouveau sourire qui pourrait être jugé inopportun de s'afficher sur mon visage, tandis que Bethany Reagan lève les yeux au ciel d'une manière que je qualifierai volontiers de théâtrale. Défaut professionnel peut-être ? Parce que sérieusement, qui lèverait les yeux au ciel machinalement à l'exception des personnages d'un soap-opéra de seconde zone et, manifestement, des étudiants membres du Glee Club d'une université ? Je n'ai jamais vraiment su apprécier pleinement les acteurs. En règle générale faux et sachant sauver les apparences comme personne, ce qui m'énerve particulièrement est assurément leur attirance assumée pour le drame et les situations rocambolesques. Je suis même prêt à parier que certains se réjouissent du piment qu'a apporté le meurtre d'Ashleigh Howard au sein de la MVU à leurs petites vies monotones. Depuis l'ouverture de l'enquête, en plus des inspecteurs qui ne cessent de rôder sur le campus à l'affût du moindre indice suspect, des journalistes en quête d'un nouveau sujet dynamique et intéressant -quoi de mieux pour ceci que les pleurs et médisances de jeunes gens sortant à peine de l'adolescence- certains étudiants semblent s'être donnés la mission ridicule d'éclaircir par leurs propres infimes moyens l'affaire. A croire qu'ils se croient dans une foutue aventure de la Mystery Incorporated ou encore dotés de la responsabilité même de résoudre toute cette histoire, comme si personne d'autre n'en était capable. « Il semblerait également que ça soit un excellent moyen de lancer des promesses en l'air. Enfin, nous ne pouvons pas tous nous targuer d'avoir une parole, bien sûr. » Je m'esclaffe très brièvement. Difficile de passer à côté de la pointe de sarcasme dans son ton, bien que comme à son habitude, elle adopte sa voix qui colle parfaitement avec l'engouement dont la demoiselle ne se défait jamais: "Bien sous tout rapport et sans jamais aucune idée malveillante". Ou devrions-nous plutôt dire: "Hypocrisie chronique mal baisée" dans un langage juste un brin moins politiquement correcte. Non que je sache si Bethany s'épanouit ou non dans sa vie sexuelle, mais en tout cas, de ce que j'en constate, elle n'en donne pas l'impression avec sa silhouette toujours droite comme un i et son air condescendant perpétuel. « Je pensais bien faire en te donnant le temps de réorganiser tout ton petit royaume à ton aise. » dis-je avec une ironie assortie d'un charmant sourire tout autant sarcastique. La jeune femme semblait gouverner sa confrérie avec un naturel déconcertant. Jamais une Oméga Phi faisait un pas de travers, et quand bien même ça arrivait, le problème était réglé en un rien de temps. Exemple frappant, Ashleigh décédée, on aurait pu penser que Bethany aurait d'autres choses à penser, mais elle n'avait bien entendu pas oublié de la remplacer dans le cercle de la sororité. « En tout cas, si tu te socialises en manquant de renverser des piétons innocents, je préfère ne pas savoir ce dont tu es capable lorsque quelqu'un te plaît. Tu la poignardes d'abord et l'invite à sortir ensuite ? Charmant. Et ne va pas t'imaginer que tes pratiques forcément déviantes m'intéressent. » « Le mystère de mon incapacité à obtenir des rendez-vous enfin dévoilé... » J'esquisse de nouveau un léger sourire amusé. Je passe l'une de mes mains dans mes cheveux, pour retirer les boucles brunes qui commencent réellement à me tomber dans les yeux. « Et donc, tu serais prête à venir dans un lieu sordide choisi par mes précieux soins ? »

Etait-elle en train de rêver ou Timon Holbrook venait tout juste de s'esclaffer impunément devant elle ? Alors qu'elle venait implicitement de lui adresser un reproche, qui plus est ? Comme ses rêves n'impliquaient nullement la présence de cet être inférieur, ça devait être la réalité. Bethany s’éclaircit la voix pour s'empêcher de proférer à l'encontre de ce sombre idiot des mots qui dépasseraient sa pensée (ou qui l'illustreraient, simplement) et se contenta de le fusiller du regard. Non pas que la jeune femme ne comprenne pas l'humour. Au contraire. Néanmoins, on lui avait tant appris à rester de marbre et à conserver son sang-froid dans n'importe quelle situation que rire était chez elle un mécanisme loin d'être naturel. Si elle souriait à s'en décrocher la mâchoire dès qu'il le fallait, Beth ne riait jamais et lorsqu'elle le faisait dans un rare moment d'égarement et/ou de lâcher-prise, le résultat sonnait étrangement faux. Elle était ravie que Timon ai saisi son sarcasme mais moins qu'il lui rit brièvement au visage comme si sa réplique était sujette à moquerie. D'ailleurs, son sourcil haussé semblait le souligner et offrait à son visage un air à la fois réprobateur et désespéré. Comme si elle était en présence d'un enfant de cinq ans récalcitrant et que, malgré tout son talent, elle ne pouvait strictement rien en tirer. Loin d'elle l'idée d'infantiliser Timon, mais la métaphore était plutôt parlante. Et les KBO n'étaient pas connus pour leur grande maturité. « Mon petit royaume se porte à merveille et ne nécessite aucune réorganisation. Son seul désir serait que tes frères restent loin de ses frontières. » Commençait-elle à se prendre au petit jeu de Timon ? Sans doute pas jusque là mais après tout, malgré ses innombrables défauts et sa tête à claques, il pouvait s'avérer divertissant. Bethany avait répondu sur l'exact même ton que le garçon, imitant à merveille son timbre sarcastique et désagréable, quand le sien était suave et doux. Ce qu'elle entendait par cette réplique était bien entendu les ennuis qui arrivaient avec les KBO. La réputation de traînée de Manoé ne venait pas des STI avec qui les OP s'entendaient à merveille... et les reproches constants par rapport à Noélie était bien évidemment entretenus par cette bande de garçons déviants. Et encore, Bethany oubliait des exemples concrets. Dans l'histoire, la plupart des évictions de jeunes OP avaient un certain rapport avec les KBO. Ils n'apportaient que tracas et embarras partout où ils allaient et la brunette aurait aimé que certaines de ses soeurs soient moins sujettes à tomber dans leurs filets. Pourtant, ça n'était pas faute de les mettre en garde. Bethany se montrait très protectrice envers ses soeurs et ce comportement la forçait, au contraire, à tenir un discours beaucoup plus ferme envers ceux qui pouvaient les faire courir à leur perte. Cet état d'esprit aurait dû la rendre ravie que Timon ait oublié son invitation mais ça n'était pas le cas. La jolie brune n'était pas une mignonne oie blanche à la recherche d'adrénaline et de passion et c'était cette image faussée des KBO qui poussait ses soeurs à les fréquenter et à se compromettre. Pas elle. Bethany souhaitait simplement réparation. Et si elle pouvait ruiner le garçon par la même occasion, elle ne dirait pas non, bien évidemment. D'ailleurs, Bethany ne put empêcher un air surpris de prendre possession de ses traits aristocratiques l'espace d'un instant, avant qu'elle ne l'efface pour retrouver une expression beaucoup plus neutre. Elle ne devait pas montrer à Timon qu'il parvenait à la surprendre, il ne manquait plus que cela. « Aussi étrange que cela puisse paraître, oui. » Un léger sourire amusé flotta à son tour sur ses lèvres, avant qu'elle ne l'efface. Il ne fallait surtout pas que Timon se méprenne sur ses attentions et pense que partager un repas avec lui plairait. Certes, il était parvenu à attiser sa curiosité. Mais ça n'allait pas plus loin. Plongeant son regard noisette dans le sien, Bethany reprit très rapidement, d'un ton beaucoup plus neutre et policé : « Bien entendu, dans le seul but d'obtenir réparation. Et de t'apprendre à tenir tes promesses, bien que je doute de ta fiabilité. » Voilà qui était mieux. Le tout déclamé de façon tout à fait cordiale et très Bethien.

Absolument tout chez Bethany sonne faux, décrétège intérieurement en l'entendant s'éclaircir la voix, avant de me lancer un regard qui me replongeait à l'époque révolue de quand je n'étais pas plus haut qu'un nain de jardin. J'ai exactement l'impression en cet instant précis d'être un gamin difficile, qui serait à sa charge. Du genre à faire des choses complètement incompréhenssibles, étranges et dérangeantes aux yeux des autres, comme mettre son caleçon sur sa tête ou une bizarerie de ce goût-là. Chacun de ses sourires semble être ironique et le ton de sa voix est bien trop mielleux pour être vrai.« Certaines de ces frontières savent être particulièrement tentantes... » J'hausse les épaules et garde un visage neutre, comme si je ne venais pas de sous-entendre que les Oméga-Phi, dont leur présidente se trouvant à ce moment précis en face de moi, sont attirantes. J'irais même jusqu'à dire sexy, malgré que je ne sois pas autant branché sur le sexe opposé que mes frères... ou le sexe tout court à vrai dire. Disons que j'ai d'autres préoccupations majeurs, mais je n'en suis pas pour autant frigide. D'ailleurs, existe-t-il vraiment des hommes à la libido quasi-nulle ? J'en doute, ou en tout cas ils sont loins d'être des KBO, de ce qu'en j'ai vu. Parfois, les autres garçons membres de ma fraternité me semblent à des années lumières de ma propre personne. Ils aiment par-dessus tout faire la fête, boire et draguer des jeunes femmes... Et surtout baiser, bien entendu. Tandis que je déteste danser, bois avec modération en règle générale en sportif qui se respecte et ai du mal à comprendre lorsqu'une demoiselle me fait des avances... Bon, j'aime les relations charnelles, mais je n'ai pas souvent l'occasion d'expérimenter la chose: se conférer au point précédent à propos des filles. « Aussi étrange que cela puisse paraisse, oui. » Une moue dubitative passe sur mon visage, comme s'il était suréaliste que la grande Bethany Reagan puisse réellement accepter de dîner avec moi sans avoir une idée derrière la tête, mais après tout, je n'ai strictement rien dont elle puisse avoir besoin, donc je finis par hôcher machinalement une fois la tête, maintenant que ça me parait davantage plausible. « Bien entendu, dans le seul but d'obtenir réparation. Et de t'apprendre à tenir tes promesses, bien que je doute de ta fiabilité.. » Ah. Ceci explique cela, j'imagine. Je me courbe très légèrement, geste digne du plus grand gentleman, avant d'ajouter dans un français qui a beau être parfait grammaticalement parlant, mais dont l'accent très approximatif, gâche un peu l'effet final. « Bien entendu mademoiselle, pour quoi d'autre pourrait-ce être ? ». Ma voix est un brin railleuse une nouvelle fois et je lui adresse un sincère sourire amusé. « La semaine prochaine... » dis-je, avec un ton plus affirmatif qu'interrogatif, histoire de ne pas paraître plus passif que je ne le suis déjà, avant de lui lancer un regard curieux, pour l'inviter à choisir avec plus de précision la date, l'heure du rendez-vous et tout autres détails qui peut sembler nécessaire à une fille de décider avant de sortir, aussi improbables soient-ils.